Alors que la Fondation Jean-Marc-et-Claudine-Salomon ouvre ces jours-ci dans un château du XIIIe siècle, à Alex en Haute-Savoie, avec une exposition des œuvres de Gilbert & George, le projet de création d’un musée sur l’île Saint-Germain, faisant suite à la donation du collectionneur Jean Hamon, semble marquer une embellie exceptionnelle des initiatives des collectionneurs privés en France.
L’île Seguin a trouvé une âme sœur. Et François Pinault un voisin. Alors que le patron d’Artémis a prévu d’ouvrir sa fondation en 2004 sur le site de Billancourt et chargé en décembre dernier François Barré d’en définir le programme architectural et urbain, c’est l’entrepreneur-promoteur Jean Hamon qui dégaine le premier. Il vient d’annoncer la décision définitive d’installer sa collection sur l’île Saint-Germain.
“Ce n’est pas une fondation mais une donation”, insiste Jean Hamon. Possédant plus de 500 œuvres, le collectionneur offre un semis de 192 créations contemporaines qui viendra éclore sur le parc de l’île Saint-Germain. Le lieu est logé dans une boucle de la Seine qui abrite déjà à sa proue la Tour aux Figures de Jean Dubuffet, dont Jean Hamon avait aidé financièrement l’érection. Ce dernier livrera dans un musée, à la gratuité promise, une tranche de l’art fin de siècle, à dominante hexagonale. Si le Petit Valentin, sculpture en bronze de César remonte à 1957, l’ensemble témoigne d’une passion française des années 1970-1990 pour des artistes tels Degottex (Dépli bleu, 1979), Devade, César (Hommage à Eiffel, 1991), Arman (Empreintes, 1979, ou Long Term Parking, accumulation de voitures dans du ciment, 1982), Hantaï (belle suite de papiers et peintures de 1976 à 1980), Noël, Honegger, Takis, Boltanski (Compositions hiératiques, 1983), Hains, Jacquet, Adami, Monory, Télémaque, Erró, Buraglio, Barré (14 toiles de 1977/1978), Martial Raysse (le triptyque Léla, Lila, Lola déguisées en gardiens du trésor, 1985). La collection fait aussi la part belle à la Figuration Libre (Combas, Boisrond, Blais), mais également à Garouste, Arroyo, Tapiès, Chillida, Soto, Dibbets et à une piquante œuvre de Dokoupil – Auction at Christie’s au noir de fumée –, qui semble un message ironique envoyé au voisin François Pinault...
Si certaines pièces, parfois plus importantes, ont été conservées par le collectionneur, la donation Hamon lie le syndicat mixte de l’île Saint-Germain, créé par la ville d’Issy-les-Moulineaux, et le département des Hauts-de-Seine sur la base d’un tiers et de deux tiers respectivement pour les dépenses. Les deux collectivités s’engagent à construire un bâtiment sur le site d’anciennes boulangeries industrielles remontant à 1870 au centre de l’île, et géreront le centre d’art et son jardin de sculptures. Les 4 000 mètres carrés du futur musée – au regard des 30 000 mètres carrés achetés par François Pinault sur l’île Seguin – feront l’objet d’un concours d’architecture dont les résultats devraient être annoncés au début de l’été. La construction et l’aménagement sont évalués à 45 millions de francs pour un budget de fonctionnement de 2,38 millions de francs. L’investissement pour la première année est estimé à 2,12 millions de francs. Cette enveloppe correspond à peu près à la valeur de la donation estimée par Me Briest et un second expert à 49 millions de francs. Jean Hamon se veut le promoteur de sa propre donation. “Je ne veux pas d’un lieu pharaonique, coûteux et ingérable”, estime-t-il.
Les travaux de la Fondation Jean-Marc-et-Claudine-Salomon sont, eux, achevés. Abrités dans un château du XIIIe siècle, sur les hauteurs d’Annecy, à Alex en Haute-Savoie, ses espaces d’expositions de 600 mètres carrés – autour d’un grand parc destiné à recevoir des œuvres commandées à des artistes contemporains – seront ouverts au public dès le 27 juin. L’accrochage d’une cinquantaine d’œuvres des Anglais Gilbert & George inaugurera un programme trimestriel. Il prévoit en octobre prochain une carte blanche au philosophe François Dagognet, auteur de Pour l’art d’aujourd’hui, et une exposition des œuvres du photographe Georges Rousse au printemps 2002. “La Fondation, souligne Jean-Marc Salomon, se place dans une topographie idéale entre la Fondation Gianadda à Martigny en Suisse, le Castello di Rivoli en Italie ou le Magasin à Grenoble. Avec un cycle d’expositions, de séminaires ou d’ateliers et résidences d’artistes, elle s’engage à une sensibilisation d’un large public à l’art d’aujourd’hui.”
Long chemin des accords ministériels
Louise Bourgeois, Gilbert & George, Tony Cragg, Giuseppe Penone, François Morellet, Georges Rousse, Guy Limone, Pierrick Sorin : les dividendes de l’entreprise familiale de sport bien connue, aujourd’hui passée dans l’escarcelle d’Adidas, ont permis à cet architecte de devenir un jeune collectionneur avisé. “Je ne souhaite pourtant pas, pour le moment, exposer ma propre collection et veux dissocier les activités de la Fondation et de mes propres choix”, dit-il encore. La Fondation a été reconnue d’utilité publique après le long chemin des accords ministériels : le ministère de l’Intérieur en a contrôlé la caution financière, le but désintéressé, le caractère d’intérêt général et la dotation (5 millions de francs) en capital suffisante pour permettre son fonctionnement (2,5 millions de francs renouvelables sur dix ans) ; le ministère de la Culture a évalué sa valeur artistique ; le Conseil d’État a donné son agrément et le Premier ministre a entériné cette décision. Aussi, la Fondation Salomon bénéficie sans aucun doute des bienfaits d’une décentralisation politique couvée par le centralisme d’État.
Une autre fondation privée pourrait voir le jour à Paris au début de l’année 2003. Le projet est mené par Antoine de Galbert, collectionneur d’origine grenobloise qui vient d’acquérir un bâtiment industriel de 2 500 mètres carrés sur le quai de la Bastille. La Fondation de Galbert souhaite fonctionner comme un centre d’art et bâtir des expositions thématiques : cartes blanches à de grands collectionneurs ou expositions temporaires de jeunes artistes. Le projet est cependant loin d’être bouclé dans sa forme juridique. Collectionneur atypique, qui se passionne autant pour les coiffes d’art primitif que pour l’art contemporain, il juge le parcours qui mène au fameux agrément d’utilité publique d’une extraordinaire complexité. “Je comprends la prudence de l’État, au regard de certaines difficultés rencontrées avec des fondations existantes, avoue Antoine de Galbert, mais je dois constater que le ministère de la Culture, qui donne ou non un avis favorable, s’est montré peu empressé à faire progresser mon projet qui était nécessairement incomplet à ses débuts...”
Manque de concertations ? Ou d’intérêt ? Méfiance des vertus d’échanges entre projet culturel et avantages fiscaux ? Ce “parcours du combattant” du futur “fondateur”, évoqué par bien des entrepreneurs privés, collectionneurs ou marchands, semble mettre à mal bien des initiatives. On se souvient des mésaventures du marchand Yvon Lambert, qui, après avoir tout tenté pour déposer sa très riche collection, estimée à l’époque à plus de 100 millions de francs, au couvent des Ursulines à Montpellier (voir JdA n° 2, avril 1994), a choisi, par manque d’entente avec l’État, de faire un dépôt de 400 œuvres pour vingt ans à l’hôtel Caumont à Avignon. “Le fastueux projet de la Fondation Pinault, fort complexe mais qui introduit une véritable révolution dans les rapports de l’État et du privé, souligne à juste titre Antoine de Galbert, oblige de facto l’État à repenser la notion de patrimoine artistique. Et à introduire une forte réflexion entre les structures étatiques et les initiatives privées.” Donation, fondation, dépôt d’œuvres, les projets en cours démontrent bien que les acteurs privés de l’art contemporain sont en pleine mutation.
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Donations ou fondations, les dilemmes du collectionneur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : Donations ou fondations, les dilemmes du collectionneur