Dans le contexte d’une implication accrue des personnes privées dans la culture, les fondations pourraient avoir un rôle important à jouer. Mais la France semble en retard. Explications.
Suivant sa définition, une fondation est constituée d’un ensemble d’actifs dotés de la personnalité morale, c’est-à-dire des moyens lui permettant d’agir en fonction d’objectifs d’intérêt général. En France, c’est une espèce assez rare. Il en existe moins de 500, pour plus de 10 000 aux États-Unis et 2 000 en Allemagne. En Angleterre, elles sont plusieurs milliers sous le nom de “charity trusts”.
La situation en France est schématiquement davantage le produit d’une méfiance publique et d’une incapacité juridique que d’une absence d’implication dans les causes d’intérêt général. Le développement des associations de la loi de 1901 l’atteste : notre pays en compte plusieurs centaines de milliers parmi lesquelles environ 2 000 sont reconnues d’utilité publique. L’État semble en effet difficilement concevoir que l’intérêt général puisse s’incarner en dehors de lui. C’est pourquoi – hormis le cas des fondations d’entreprise, depuis 1987 –, la personnalité morale n’est accordée aux fondations que par la reconnaissance d’utilité publique, prise par décret en Conseil d’État. Bref, l’initiative privée d’intérêt général ne peut s’incarner dans une fondation que si l’autorité publique l’autorise expressément.
En 1987, le législateur a ouvert une brèche aux fondations dans la loi sur le mécénat, mais il a immédiatement limité l’emploi de l’appellation à celles reconnues d’intérêt public. En 1990, la législation de 1987 a été aménagée pour permettre la création de fondations d’entreprise, mais à condition qu’elles s’affichent comme des sous-produits de l’entreprise.
Le droit français peine à concevoir de cadre légal permettant le développement des fondations. Par exemple, le legs de biens ou de ressources à une fondation à créer est nul, alors que cette démarche semble sans ambiguïté pour le donateur. Certes, pour recueillir une donation ou une succession, il faut en avoir la capacité juridique, ce que le droit ne reconnaît pas à une fondation à créer. Mais il faut constater que deux siècles après le Code civil, la France n’a pas encore su trouver d’autre solution que le legs à charge fait à une personne physique, par exemple, un exécuteur testamentaire chargé de transmettre à la fondation lorsqu’elle sera créée, les biens ou droits transmis. Formule complexe qui peut déboucher sur des impasses, comme actuellement avec la Fondation Giacometti.
Certes, en 1990, la loi a admis le legs à une fondation future, mais en précisant que la fondation devait être constituée et reconnue d’utilité publique dans l’année qui suit l’ouverture de la succession, exercice pratiquement impossible, sauf extrême diligence de l’administration.
Les fondations d’entreprise autorisées en 1990 ne rencontrent pas cette difficulté, car, à la différence des fondations reconnues d’utilité publique, il leur est interdit de recevoir des legs (comme de faire appel à la charité publique ou de recevoir en dotation des immeubles de rapport). Mais la loi puis l’administration se sont chargées de décourager les initiatives d’entreprises par des conditions financières, fiscales ou déclaratives complexes. Ainsi, l’obligation d’engagement de programmes financiers pluriannuels, permettant aux entreprises d’engager progressivement les fonds, s’accompagne de la nécessité de fournir des cautions bancaires, rédhibitoires pour les PME, et de règles fiscales interdisant toute déduction en cas d’exercice déficitaire à venir. Une procédure d’autorisation administrative préalable préfectorale pour les fondations d’entreprise a été maintenue, avec le cortège d’interprétations discordantes propre à doucher les ardeurs des nouveaux mécènes. Ces défauts de jeunesse ont retardé le mouvement. La loi de finances 2000 et une instruction de la Direction générale des impôts du 5 mai 2000 ont apporté de premiers ajustements en ce qui concerne les problèmes fiscaux.
Pour être équilibré, ce panorama un peu pessimiste doit cependant relever que la pratique des fondations peut quelques fois justifier de solides garde-fous.
En effet, quels que soient les États, le principe même de la fondation suppose un abandon de biens, mais aussi de pouvoir de la part du fondateur. Pratiquement, jusqu’à la définition par les statuts des objectifs de la fondation et des biens mis à sa disposition pour les poursuivre, le ou les fondateurs sont maîtres de leur choix, et libres d’y attacher leur nom. Mais ils doivent admettre que leur décision est irrévocable et que par la suite, sauf violation caractérisée, leur voix est simplement consultative. Ce qui est souvent difficile pour des personnes qui ont la plupart du temps joui d’une propriété et d’un pouvoir sans partage sur leur entreprise ou leur collection.
En France, dans le domaine culturel, l’analogie peut se faire avec les donations. Si l’État ou les collectivités publiques ont souvent été conduits à renoncer à des donations, ce n’est pas nécessairement par manque de clairvoyance, mais parce que les conditions imposées par le donateur étaient difficiles à accepter. Comme les transferts d’actifs dans un acte de fondation, elles sont perpétuelles. On peut se souvenir des actions judiciaires lourdes conduites aux États-Unis pour autoriser le conseil de la Fondation Barnes à faire circuler de façon exceptionnelle les œuvres de la collection (lire le JdA n° 127, 11 mai 2001). En France, nombre de donations dans le domaine de l’art – et de projets de fondation – ont pu achopper sur la volonté du donateur de rester directement ou indirectement maître des collections.
Aussi, il n’est pas étonnant dans ce contexte que, dans le domaine de la culture, les fondations reconnues d’utilité publique soient rares, voire très rares pour celles qui sont créées à l’initiative d’entreprises. Actuellement, seules deux sont actives : Belem – patrimoine maritime – et Crédit Agricole-Pays de France – patrimoine rural – (source : Répertoire du mécénat culturel de l’Admical).
Enfin, la difficile émergence des fondations a conduit les donateurs et mécènes, entreprises ou personnes physiques, à utiliser les fondations relais que sont l’Institut de France ou la Fondation de France. Ces deux institutions, la première créée au XVIIIe siècle, la seconde plus récente (1969), outre leurs activités propres, ont développé un savoir-faire considérable et peuvent abriter des fondations dans des conditions assez simples. Le vénérable Institut, riche d’innombrables legs, avec ou sans condition, gère en particulier des actifs immobiliers et artistiques. La Fondation de France, plus récente, a développé une importante activité fiduciaire. Il est en particulier possible d’ouvrir des comptes à la Fondation de France (en fait des contrats précisant les modalités de mise en œuvre des dons, donations ou legs), et de pouvoir utiliser l’appellation fondation, sans avoir à constituer de personne morale nouvelle. On parle alors de fondations abritées. Comme la Fondation de France ne met pas directement en œuvre les projets, les fondateurs et les entreprises peuvent rester directement associés à leur réalisation. Mais ils peuvent aussi choisir d’apporter des biens ressources à des fonds s’inscrivant dans les activités d’intérêt général de la Fondation de France.
Peut-être du fait des difficultés propres au régime des fondations dotées de la personnalité morale, ces systèmes de fondations abritées ont rencontré un succès assez important. En 1997, la Fondation de France avait enregistré 650 structures de ce type dont 400 étaient encore en activité – une cinquantaine à l’initiative d’entreprises. Parmi celles qui interviennent dans le domaine culturel, citons Cartier, BNP-Paribas (ex Paribas), BNP, CCF, Daimler Chrysler, EDF, Hachette, Mumm, Mutuelles du Mans, La Poste. L’Institut de France héberge AGF Athéna.
Il faut enfin mentionner la Fondation du patrimoine qui a un statut particulier puisqu’elle a été créée par une loi spéciale.
- À consulter
l Conseil d’État, Rendre plus attractif le droit des fondations, Paris, La Documentation française, 1997, 125 F. ISBN 2-11-003725-3. L’ouvrage comprend des informations sur la situation dans les pays européens et étrangers et des études comparatives en particulier sur la fiscalité.
l Admical, Les Fiches pratiques juridiques et fiscales du mécénat, 150 F.
UDA, Vade-mecum de la fondation d’entreprise, dossier destiné aux adhérents.
l Olivier Binder, Julie Le Roy, Le Nouveau Guide juridique et fiscal du mécénat, Paris, Admical, 1998, 350 p., 450 F, ISBN 2-90-750715-X.
- Adresses utiles
l Admical. Association pour le développement du mécénat culturel d’entreprise, 16 rue Girardon, 75018 Paris, tél. 01 42 55 20 01, www.admical.org
l UDA. Union des annonceurs, 53 avenue Victor-Hugo, 75116 Paris, tél. 01 45 00 79 10, www.uda.fr
l Institut de France, 23 quai Conti, 75006 Paris, tél. 01 44 41 43 40
l Fondation de France, 40 avenue Hoche, 75008 Paris, tél. 01 44 21 31 00
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La France en retard de fondations
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : La France en retard de fondations