Comment un coussin a permis de retrouver un tableau volé il y a quarante ans

En 1978, 12 tableaux avaient été volés au domicile de Robert Stoddard, administrateur du Worcester Art Museum (Massachusetts), dont une œuvre d'Auguste Renoir et une aquarelle de William Turner. Jusqu'à présent seules trois de ces douze œuvres d'art - d'une valeur totale de 10 millions de dollars aujourd'hui - ont été retrouvées. Mais la récente enquête d’un collectionneur d'art de Boston, Clifford Schorer, pourrait accélérer les restitutions. 

Celui-ci est sur le point de récupérer l'un des tableaux volés : Paysage d'hiver avec patineurs et autres figures (1630) du peintre néerlandais Hendrick Avercamp (1585-1634), spécialiste des scènes d’hiver dans le goût de Brueghel. Les tableaux d'Avercamp sont exposés dans des musées comme la National Gallery de Londres, le Rijksmuseum d'Amsterdam et le Metropolitan Museum of Art de New York.

Cliff Schorer est un collectionneur qui s'est fait un nom en tant que chasseur d'œuvres d'art et est doté d'un don particulier pour trouver - et acquérir à prix cassé - des chefs-d'œuvre perdus, négligés ou mal attribués. Ancien président du conseil d'administration du Worcester Art Museum, il s'est naturellement intéressé de près à cette affaire car de nombreuses œuvres volées avaient été promises à l'institution avant la mort de Robert Stoddard en 1984. 

Le détective amateur a commencé là où n'importe qui pourrait le faire, sur Internet, en effectuant une recherche d'image pour trouver une scène de rivière en hiver similaire à celle de la peinture d’Avercamp. Très vite, il est tombé sur la photo d'un coussin sur lequel figurait ce qui semblait être l'image du tableau perdu. Il a cliqué sur la photo, fait un zoom et constaté qu'il s'agissait bien de la même œuvre d'art. Le coussin était en vente à 18 dollars sur Pixels.com, un site qui vend des oreillers, des couvre-lits ou des posters avec des images d'œuvres d'art imprimées dessus. Le collectionneur savait qu'aucune photo de cette qualité ne pouvait avoir été prise avant 1978. La personne qui avait pris cette photo devait être en possession du tableau après son vol.

Cliff Schorer a alors a étudié les métadonnées de la photo jusqu'à remonter à un marchand qu'il connaissait à New York. Le marchand se souvenait du tableau, expliquant qu'il avait été vendu lors d'une foire d'art en Europe en 1995, mais par un autre marchand avec lequel il partageait un stand à la foire. Comment des marchands sérieux ont-ils pu vendre un tableau signalé comme volé ? Il s'est avéré, a dit l'ami galeriste à Cliff Schorer, que le tableau avait été vendu comme une œuvre de Barend Avercamp (1612-1679), neveu et élève d’Hendrick. Schorer suppose que celui qui a vendu le tableau a pu falsifier le « H » pour qu'il ressemble à un « B » dans la signature de l’artiste.

Grâce aux archives du marchand, Cliff Schorer a retrouvé le nom des acheteurs, un couple de néerlandais décédés, ainsi que son prix, 200 000 dollars, soit bien moins que ce qu'il aurait rapporté s'il avait été vendu en tant qu’Hendrick et non Barend, et que ce qu'il vaudrait aujourd'hui.

Le collectionneur a envoyé une lettre aux héritiers des acheteurs néerlandais en 2021, au nom du Worcester Art Museum, exprimant l'espoir qu'ils pourraient trouver un moyen amiable pour que le tableau soit rendu au musée. Face à l’absence de réponse, son avocat néerlandais a écrit une autre lettre aux héritiers, leur donnant 40 jours pour se manifester et organiser la restitution du tableau, en échange de la somme que la famille avait déboursée à l’époque. Cliff Schorer a précisé au Boston Magazine qu'il engagerait des poursuites pénales si la famille ne coopérait pas.