VENISE / ITALIE
Le pavillon américain est l’un des rares dans les mains du privé. Il n’en reste pas moins que le parcours des commissaires et des artistes, de leur candidature à leur sélection, relève d’un intense marathon bureaucratique.
États-Unis. « J’ai le sentiment d’avoir rejoint cet important cercle d’artistes et de penseurs qui ont atteint la reconnaissance », se réjouissait Simone Leigh, le 14 octobre 2020. Pas encore totalement revenue de sa surprise, la sculptrice afro-américaine venait alors d’apprendre du Département d’État (le ministère des Affaires étrangères américain) qu’elle avait été choisie pour représenter les États-Unis lors de la 59e Biennale de Venise. Choix historique, elle est la première femme noire à obtenir cet honneur.
« L’idée d’envoyer Simone Leigh à Venise vient chambouler plus de quatre siècles d’histoire américaine », commente avec enthousiasme Jill Medvedow, directrice de l’Institute of Contemporary Art (ICA) de Boston. C’est elle qui a porté la candidature de Simone Leigh. Elle a eu l’idée de soumettre son nom en 2019 avec sa collègue Eva Respini, conservatrice en chef à l’ICA, alors qu’elles préparaient ensemble la première grande rétrospective bostonienne des œuvres de l’artiste. Les deux historiennes de l’art ont été nommées commissaires du pavillon américain par le Département d’État.
Simone Leigh, Jill Medvedow et Eva Respini peuvent savourer leur succès, car le long processus de sélection des candidats à l’investiture vénitienne représente aux États-Unis un véritable chemin de croix. « Il faut être vraiment, vraiment bien organisé pour gagner », témoignait déjà Lisa Freiman, en 2011, auprès du New York Times, alors qu’elle venait d’être choisie comme commissaire du pavillon américain pour la 54e Biennale. Directrice du département d’art contemporain de l’Indianapolis Museum of Art, elle avait réussi le tour de force d’imposer cette année-là le couple d’artistes portoricains formé par Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, face à des candidatures prestigieuses (Cindy Sherman, Shirin Neshat ou Catherine Opie) émanant de conservateurs de musées bien plus établis.
« On doit notre présence à Venise à l’obstination de Lisa », admirait Jennifer Allora en 2011. De l’obstination, il en faut en effet pour triompher de la poignée de conservateurs de musée, de directeurs d’institutions culturelles et de commissaires indépendants qui se lancent tous les deux ans dans l’intense compétition ouvrant les portes du pavillon américain. C’est par eux que tout commence : ceux qui souhaitent concourir sélectionnent un ou plusieurs artistes dont ils soutiennent la candidature, puis montent un dossier d’une centaine de pages avant de se lancer dans un épuisant marathon bureaucratique.
Car c’est un vrai paradoxe : le pavillon américain, édifice néo-palladien construit en 1930, n’a pas été créé par le gouvernement qu’il représente mais par une coopérative d’artistes indépendants, puis possédé par le Museum of Modern Art de New York et, depuis 1986, par la Fondation Guggenheim. Il faut toutefois, pour exposer dans ce lieu relevant donc d’une initiative privée, passer sous les fourches caudines de l’administration américaine qui maintient son contrôle sur l’ensemble du processus de sélection.
Les candidats soumettent d’abord leur dossier au Federal Advisory Committee on International Exhibitions, un conseil ad hoc réuni par le National Endowment for the Arts, la principale agence culturelle fédérale. Composé de six membres choisis parmi un large panel de conservateurs, de directeurs de musée, d’experts et d’artistes, celui-ci passe en revue les différentes propositions au cours de longs mois de travail. Le groupe soumet ensuite ses recommandations au Bureau of Education and Cultural Affairs du Département d’État, le bras armé de la diplomatie culturelle américaine, qui a le dernier mot.
Les artistes et commissaires sélectionnés reçoivent ensuite une bourse de 250 000 dollars (231 000 euros) du Département d’État, à travers le Fund for United States Artists at International Festivals and Exhibitions. La somme est complétée par un financement de la Fondation Guggenheim, qui prend en charge une grande partie de la logistique sur place, et le soutien d’institutions privées et d’acteurs individuels.
« Il ne m’est jamais venu à l’esprit que le Département d’État puisse me choisir, se remémore Lisa Freiman. Je pensais que ma proposition était trop engagée politiquement. » Allora et Calzadilla voulaient en effet dénoncer le complexe militaro-industriel américain et « critiquer la notion d’identité nationale ». Depuis plus de dix ans, le National Endowment for the Arts et le Département d’État semblent pourtant privilégier précisément les candidatures d’artistes ayant tendance à « mordre la main qui les nourrit » comme l’écrivait le New York Times en 2017.
Cette année-là, c’est Mark Bradford, l’un des peintres les plus acclamés d’Amérique, qui est choisi pour représenter les États-Unis. Premier Afro-Américain envoyé à Venise, il opte pour une « déconstruction » du pavillon néo-palladien, qu’il tient comme un symbole du gouvernement. Il fait enlever les plâtres de la grande rotonde et y fait pendre des cordes de papier, évoquant la traite négrière transatlantique. En 2019, c’est le sculpteur Afro-Américain Martin Puryear qui occupe le pavillon. Il y expose des toiles tuméfiées et des collages de déchets évoquant « l’état de la démocratie sous Trump ».
Simone Leigh veut s’inscrire dans cette lignée. « Le travail unique de Leigh explore et transcende les notions d’histoire, de race, de genre, de travail, de monument, par la création et la réappropriation de puissants récits de femmes noires », détaille Jill Medvedow. De bons arguments pour gagner le ticket américain pour Venise.
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Comment l’Amérique sélectionne ses artistes pour la Biennale de Venise
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Comment l’Amérique sélectionne ses artistes pour la Biennale de Venise