Politique culturelle - Soft power

Chine, la France conclut brillamment sa saison culturelle

Par Olivier Celik · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2024 - 1201 mots

Avec la Semaine de l’art à Shanghaï, la France achève en beauté une année diplomatique franco-chinoise où les marques ont été très présentes.

Chine. L’année 2024 a été une année particulière dans les relations entre la France et la Chine. C’est en effet il y a soixante ans, en janvier 1964, en pleine Guerre froide, que le général de Gaulle reconnaît la légitimité de la République populaire de Chine – il est le premier chef d’État occidental à le faire –, considérant que par leurs « affinités pour tout ce qui concerne l’esprit », les deux pays seraient amenés à « conduire une coopération culturelle croissante ». La ligne était tracée. Les mots et les gestes sont encore dans les mémoires, et valent, selon l’ambassadeur de France à Pékin depuis 2023, Bertrand Lortholary, « une reconnaissance profonde qui se ressent encore ». D’où cette célébration du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays qui ont naturellement choisi l’axe culturel comme terrain commun d’échanges via une très officielle « année du tourisme culturel franco-chinois ».

Les institutions françaises sur le devant de la scène

Dès le 5 janvier 2024, Notre-Dame de Paris a eu l’honneur d’être représentée en sculpture de glace (20 mètres de haut) lors du célèbre festival de Harbin, au nord du pays, troisième site touristique de Chine après La Cité interdite et la Grande Muraille. Un focus sur la cathédrale complété par plusieurs expositions. Les musées chinois sont depuis quelques années particulièrement friands d’expositions issues des institutions françaises ou spécialement produites pour l’occasion. C’est, paradoxalement, la nature publique des musées français qui rassure leurs interlocuteurs chinois qui, dans leur grande majorité, sont privés, à l’exception notable de la Power Station of Art (PSA), installée à Shanghaï dans une ancienne centrale électrique à l’image de la Tate Modern à Londres, et seul musée public d’art contemporain en Chine. Privé, ici, ne signifie pas que l’État central, d’une manière ou d’une autre (souvent à travers l’arme économique) n’a pas de droit de regard et de censure sur les thèmes et les contenus des expositions.

Pas de risque de censure avec l’exposition « Paris, le chic, Shanghaï moderne » au Bund 33 (Shanghaï), l’ancienne résidence consulaire britannique, une bâtisse coloniale entourée de jardins luxuriants en plein centre de la mégalopole. L’exposition a été coproduite par le Mobilier national, qui a prêté 200 pièces, et le groupe de communication Hanan Culture, gestionnaire du lieu, mécène du Musée Galliera à Paris et prestataire du groupe LVMH ou du groupe Richemont pour la réalisation de vidéos promotionnelles. Le Centre d’art Rodin (privé), lancé par la collectionneuse chinoise Wu Jing, a investi pour dix ans le pavillon français de l’exposition universelle de Shanghaï de 2010. La collectionneuse a obtenu pour 20 millions d’euros un droit de tirage auprès du Musée Rodin de Paris, et compte ouvrir un autre centre à Tianjin (au nord-est) puis, sur le même modèle, un Centre Bourdelle, en relation avec le musée éponyme de Paris. Le Musée d’art de Pudong (MAP) de Shanghaï, dans un écrin posé sur le fleuve réalisé par Jean Nouvel, prépare deux expositions, dès 2025, avec le Musée d’Orsay puis avec le Musée Picasso.

Le Centre Pompidou, à West Bund, présente également une partie de sa collection permanente et une exposition photographique, assez audacieuse, mêlant artistes maison et artistes chinois, dont certains furent auparavant condamnés à l’exil ou à la prison. Des artistes « acceptés, mais non encouragés » par le bureau de la Culture, selon le commissaire de l’exposition « Another Avant-garde » (jusqu’en février 2025). « La France est là ! », annonce fièrement l’Institut français de Chine qui, il est vrai, a une visibilité enviable à la foire West Bund Art and Design (voir ill.), avec un Café français attrayant, point de rencontre des visiteurs, et une présence marquée dans la communication de l’événement.

Se pose cependant la question de l’effet de ces ponts culturels institutionnels français sur les artistes hexagonaux. Si la France sait vendre son patrimoine artistique, elle est moins heureuse dans la promotion de ses artistes. L’exposition « Bon moment » au Musée Red Brick Art Museum (Pékin), avec Tatiana Trouvé et Laure Prouvost, qui faisait partie de la visite d’État du président Macron en avril 2023, fait figure d’exception. Peut-être que les artistes français cultivent trop leurs relations avec les musées réputés plus accueillants et n’investissent pas assez le redoutable marché. C’est ce que dit Olivier Hervet de la galerie HdM, sise dans le quartier culturel du 798 à Pékin : « Les artistes français devraient donner leur priorité aux galeries commerciales plutôt qu’aux institutions, car sur le long terme, cela nuit à leur internationalisation. » Exception notable : Bernar Venet bénéficie d’une grande rétrospective en 180 œuvres au Phoenix Center de Pékin, un centre d’art appartenant à la chaîne de télévision de Hongkong.

La culture, cheval de Troie du luxe français

C’est cependant le luxe qui offre à la France sa plus forte visibilité culturelle, et de loin. Le marché chinois est essentiel pour le luxe français (30 à 40 % de leur marché) et en période de baisse, comme c’est le cas cette année, les marques surinvestissent les manifestations culturelles, dans une démarche particulièrement décomplexée, à l’image de l’espace « Dior Lady Art », présentant dans une scénographie léchée des sacs Dior personnalisés par des artistes (50 000 € pièce), sur le salon Art021. Assister à une soirée privée de la marque de luxe française, champagne, dj set et influenceuses au cœur d’un ancien palais offert par Staline à Mao en 1955, ne manquait pas de sel !

Les marques françaises, outre la visibilité de leurs noms et produits, comme l’imposant logo Vuitton à la foire West Bund Art and Design, organisent des expositions, au prix d’un soutien financier aux institutions publiques et privées chinoises. Quitte, parfois, à enlever toute pertinence à ce qui est montré. Autant l’exposition « Cartier, le pouvoir de la magie » (les bijoux, sans lien avec la Fondation Cartier pour l’art contemporain) trouve sa place dans le nouveau et immense musée de Shanghaï (public) qui s’apprête à accueillir 400 000 visiteurs, autant celle consacrée aux créations de Gabrielle Chanel au PSA (art contemporain, musée public), aux côtés d’installations récentes, n’a aucun bien-fondé, si ce n’est le soutien de Chanel à un musée qui a, dans un passé récent, montré quelques artistes français (Yves Klein, Christian Boltanski, Annette Messager ou Niki de Saint Phalle. L’exposition – réussie – des métiers d’arts du Comité Colbert (lobby du domaine du luxe) à Shanghaï est emblématique de l’emprise des marques sur la culture.

Le soutien de la France à ses artistes et institutions culturelles peut-il se passer des marques de luxe ? Comment en effet soutenir plus de 400 événements labellisés par l’Institut français de Chine, avec un budget culturel de la représentation française à l’étranger, qui ne dépasse pas les 4 millions d’euros, selon un chiffre donné par Nicolas Pillerel, ministre-conseiller pour les affaires culturelles à l’ambassade de France à Pékin ? Jean-Pierre Raffarin, éternel VRP de la France en Chine et invité inattendu de l’inauguration d’une fresque en céramique de Fabrice Hyber dans une station de métro de Shanghaï, en collaboration avec la Fondation Cartier pour l’art contemporain n’hésite pas à affirmer « Les Allemands vendent des voitures, nous on vend de la culture ». Mais « nous », c’est qui ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Chine, la France conclut brillamment sa saison culturelle

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