Chine - Musée

Un « musée » Rodin cet automne à Shanghaï

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2024 - 814 mots

Le projet prendra place dans l’ancien pavillon français, autour d’un ensemble constitué par un collectionneur privé auprès du musée.

Amélie Simier. © Agence photographique du Musée Rodin / Pauline Hisbacq
Amélie Simier.
© Agence photographique du Musée Rodin / Pauline Hisbacq

Paris. Ce sera Shanghaï et pas Shenzhen. Un projet de « musée » Rodin dans la ville du sud de la Chine était en discussion depuis 2017, mais il a capoté pour des raisons de politique locale, explique Amélie Simier, la directrice du Musée Rodin, qui vient d’être renouvelée à son poste. Après le Covid, le projet est reparti sur de nouvelles bases à Shanghaï et cette fois il a abouti. « Nous avons laissé le collectionneur privé qui détient un ensemble d’une quarantaine de fontes négocier seul avec les différentes parties », précise-t-elle. Ce collectionneur va occuper pendant une durée de cinq ans renouvelable le pavillon français de l’Exposition universelle de 2010. Le lieu s’appellera « Centre d’art Rodin », et non pas « musée », car en Chine le terme « musée » renvoie à l’art ancien chinois. La date exacte de l’inauguration n’est pas encore fixée – il se pourrait qu’Emmanuel Macron fasse un nouveau déplacement en Chine, offrant ainsi une belle caisse de résonance à l’événement si l’ouverture est concomitante.

« C’est un modèle très différent de celui du Centre Pompidou », souligne la directrice. Et pour cause, le musée dispose d’un atout considérable : il peut fabriquer des œuvres anciennes. Ce privilège est dû à Auguste Rodin (1840-1917) qui a légué à l’État, peu de temps avant sa mort, toutes ses œuvres, les moules et les droits d’auteur, confiant à la puissance publique le soin de faire rayonner son œuvre dans le monde entier.

Un bon calcul puisqu’une soixantaine de musées dans le monde possèdent aujourd’hui des pièces du sculpteur, ainsi qu’un nombre indéterminé de collectionneurs privés « qui ont souvent vocation à ouvrir un lieu quand ils possèdent un ensemble conséquent », relève Amélie Simier. À commencer par Jules Mastbaum, qui a légué sa collection à la Ville de Philadelphie (Pennsylvanie), laquelle a ouvert un musée en 1929. Une bonne partie de ces œuvres sont des fontes posthumes réalisées par les fonderies de Coubertin et Susse et achetées auprès du musée parisien. Mais tous les projets n’aboutissent pas, à l’exemple, en janvier 2023 aux Canaries, de celui qui était porté par le public.

Un atout maître : la vente des bronzes

C’est cette manne qui permet au Musée Rodin de s’autofinancer à cent pour cent, une exception dans le paysage muséal français. Pas moins de 70 à 75 % des recettes (soit environ 8 M€) sont apportées par la billetterie, les privatisations et la boutique, le solde venant de la vente des fontes. C’est d’ailleurs la vente des fontes qui a permis au musée de surmonter la crise sanitaire qui lui a valu un déficit d’exploitation de 8,5 millions d’euros. Il a pu bénéficier d’un petit coup de pouce de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture, très attachée au musée, mais l’essentiel des recettes extraordinaires résulte de la vente des bronzes.

Problème : les « Jocondes » de Rodin que sont Le Penseur et Le Baiser ont épuisé leur droit de tirage (limité à 12 exemplaires) et il ne reste plus que quatre tirages possibles de la Porte de l’Enfer. Il faut donc faire émerger de nouvelles icônes, comme L’Homme qui marche. C’est ici qu’intervient Cyril Duchêne, le stratège en communication du musée, qui gère la marque « Rodin » comme le ferait un grand groupe. Il lui revient de créer du désir pour certaines sculptures. Exemple, pour augmenter l’intérêt d’éventuels acquéreurs de la Porte, il a suggéré de créer une soirée « Bienvenue en Enfer » qui a eu lieu l’an dernier au musée l’avant-veille du jour des morts (900 participants tout de même).

La complémentarité entre la vente de bronzes à l’étranger et l’activité principale du musée n’est pas que financière. Le musée cherche à attirer les touristes étrangers, à commencer par les Chinois, qui ne constituent que 2 % des visiteurs. Et comme pour les Américains qui représentent le gros des troupes, quoi de mieux qu’un musée dans les pays cibles pour donner envie à leurs ressortissants de venir voir la maison mère ? Car la fréquentation est la boussole du musée. D’elle dépendent les recettes de billetterie et de la boutique. Mais l’équation est complexe : il faut augmenter la venue des touristes étrangers (70 % des visiteurs) tout en attirant les Franciliens. Or, près de 38 % des visiteurs locaux ne payent pas (moins de 26 ans, etc.). Amélie Simier a renoncé aux expositions « blockbuster », peu utiles pour les touristes étrangers, et de plus en plus coûteuses ; elle préfère n’organiser qu’une exposition thématique par an et laisser la place le reste de l’année à un atelier (fort bien fait) pour les enfants.

Pour remercier Rodin d’avoir cédé ses droits et entretenir la flamme du sculpteur, Amélie Simier emmène toute son équipe, chaque 17 novembre (date anniversaire de sa mort) sur la tombe de l’artiste à Meudon (Hauts-de-Seine). D’ici novembre prochain, elle ira sans doute à Shanghaï.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Un « musée » Rodin cet automne à Shanghaï

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