Hongrie - Politique culturelle

POLITIQUE CULTURELLE EN HONGRIE

À Budapest, le projet de quartier des musées cristallise les mécontentements

BUDAPEST / HONGRIE

L’édification, soutenue par Viktor Orbán, d’un ensemble de musées dans un parc de la capitale hongroise, est vivement critiquée par les opposants au Premier ministre au sein du milieu culturel.

Nouveau bâtiment du Musée ethnographique de Budapest, conçu par l'agence d'architectes Napur et inauguré en juin 2022. © Incze László
Le nouveau bâtiment du Musée ethnographique de Budapest, conçu par l'agence d'architectes Napur et inauguré en juin 2022.
© Incze László

Budapest. Le Városliget est un parc de Budapest apprécié des habitants comme des touristes. S’y trouvent notamment les fameux bains Széchenyi. C’est à cet endroit que le gouvernement a choisi de créer un « quartier des musées » et veut en profiter pour rénover le parc. Parterres de fleurs, aires de jeux, kiosques de restauration rapide, parcours botanique et montgolfière comptent maintenant parmi les nouvelles attractions de ce « bois de ville » créé au début du XIXe siècle sur une superficie équivalente à deux fois celle du parc de la Villette à Paris. Le Musée des beaux-arts, la Maison de la musique, le Musée ethnographique et le tout petit Neo Contemporary Art Space y ont aussi déjà ouvert leurs portes. Mais le projet est loin de faire l’unanimité dans le contexte politique d’un pays dirigé depuis 2010 par Viktor Orbán.

En réponse aux accusations d’ordre environnemental, ses partisans rappellent, eux, que de tout temps le parc a accueilli des pavillons éphémères et des édifices commémoratifs, notamment ceux des Festivités du Millénaire de 1896. Les autorités communistes ne s’étaient pas non plus privées de bétonner, et c’est à la place de leurs vestiges que les musées sont construits.

Un quartier des musées voué à s’étoffer

Première étape de ce grand programme baptisé « Liget Project » – exclusivement financé par l’État grâce aux 4 % du PIB hongrois consacrés à la culture et aux loisirs –, la rénovation du Musée des beaux-arts situé en bordure du parc a été achevée en 2018. László Baán, directeur de l’institution depuis 2004 en plus d’être coordonnateur du projet global, a propulsé son musée en tête des lieux les plus visités de la capitale. Installé dans la Maison du Millénaire hongrois, dont l’architecture néoclassique est typique de la fin du XIXe siècle hongrois, le Neo Contemporary Art Space a quant à lui ouvert ses portes dans le parc en 2019. Sa petite salle présente des expositions relativement sages.

Début 2022, c’est en fanfare que l’on inaugurait la Maison de la musique. « Il n’y avait pas en Hongrie de musée consacré à la musique, or celle-ci joue un rôle fondamental dans la culture hongroise, il nous est donc apparu nécessaire de créer cette institution », explique László Baán. Le bâtiment, issu du premier concours international d’architecture à être organisé depuis la Seconde Guerre mondiale, remporté par le Japonais Sou Fujimoto, présente une exposition audiovisuelle et interactive sur l’histoire de la musique. Enfin, le Musée ethnographique, inauguré en juin dernier, est l’œuvre de l’agence hongroise Napur Architects [voir ill.]. Destinée à accueillir l’une des plus grandes et plus anciennes collections ethnographiques d’Europe, qui n’avait jusqu’à présent jamais eu d’édifice dédié, cette immense construction n’est encore qu’à moitié occupée.

Initialement, ce quartier des musées devait également intégrer le Musée de la photographie, celui d’architecture, le Mucsarnok (Kunsthalle) et le Musée d’art contemporain Ludwig. L’idée a été abandonnée faute de moyens, parce que les bâtiments qui les accueillent étaient déjà fonctionnels et parce que les défenseurs du parc dénonçaient un bétonnage excessif. Trois autres institutions, le Musée des transports, le théâtre du Városliget (bijou de la Sécession hongroise démoli par les communistes pour permettre aux chars de parader) et surtout la Nouvelle Galerie nationale, récemment fusionnée avec le Musée des beaux-arts, font cependant toujours partie du programme. La Nouvelle Galerie nationale devrait en être la pièce maîtresse : « Il ne peut y avoir de zone culturelle sans musée d’art contemporain », défend László Baán. L’édifice qui regroupera les collections modernes et contemporaines des deux musées a été dessiné par l’agence japonaise Sanaa.

Les opposants dénoncent le primat d’une culture nationale

Le Liget Project fait néanmoins beaucoup de mécontents à Budapest où la gauche l’a emporté lors des élections municipales de 2019. Viktor Orbán avait suspendu tous les projets non encore sortis de terre il y a trois ans, indiquant qu’il attendrait le résultat des élections législatives d’avril 2022 pour décider de leur sort. Celles-ci l’ayant reconduit à son poste (bien que les Budapestois se soient en majorité prononcé pour la coalition d’opposition), il a annoncé que les travaux au Városliget reprendraient leur cours. Malgré la hausse des coûts dus à la guerre en Ukraine, qui fragilise d’autant plus le projet, László Baán espère pouvoir commencer la construction de la Nouvelle Galerie nationale en 2024 ou 2025.

Les professionnels de la culture opposés au gouvernement Orbán sont amers. Ils dénoncent l’absence de concertation, des décisions prises unilatéralement, notamment par le biais de structures centralisatrices comme l’Académie hongroise des arts (MMA). Celle-ci exerce sa tutelle sur un grand nombre d’institutions culturelles dans le pays ; elle effectuerait, selon ses détracteurs, un contrôle serré de leur programmation et affaiblirait leur autonomie. Les opposants dénoncent également l’afflux de fonds à destination exclusive des« institutions culturelles stratégiques [œuvrant] à la préservation de la culture nationale et [au] renforcement de l’identité nationale », selon un texte de loi de 2019, institutions dont font justement partie les musées du Liget Project.

Selon un rapport publié en décembre 2021 par l’ONG américaine Artistic Freedom Initiative, seuls les programmes en phase avec les vues conservatrices de l’exécutif sont soutenus, rendant invisible une grande partie de la scène artistique hongroise. « Il n’y a pas de scène alternative manifeste, déplore Barnabás Bencsik, ancien directeur du musée d’art contemporain Ludwig de Budapest. Les lieux indépendants ne reçoivent aucun fond public et le gouvernement ne s’intéresse pas aux artistes qui ne partagent pas ses valeurs. Il est impossible d’organiser des événements artistiques d’intérêt qui puissent toucher le grand public.» Selon les acteurs culturels opposés au régime, le contrôle du secteur par le gouvernement et la marginalisation des expressions critiques qui en découle, voire leur autocensure, sapent la diversité artistique contemporaine en Hongrie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°597 du 21 octobre 2022, avec le titre suivant : À Budapest, le projet de quartier des musées cristallise les mécontentements

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