Gueule d’ange, œil noisette, timbre grave parfois mélancolique avec un accent chantant, Anri Sala pourrait être de ceux dont le charme accélère le parcours et emballe le marché en un sourire.
D’autant qu’il aura fallu à peine cinq ans au jeune Albanais, débarqué de Tirana à la fin des années 1990, pour exploser sur le devant de la scène internationale. Et cinq ans de plus pour se voir bombardé locataire du pavillon français de la prochaine Biennale de Venise, en 2013.
En Albanie, pays communiste
Mais qu’il suffise de s’entretenir avec lui pour s’assurer du contraire. Le garçon ne joue pas dans cette cour-là. Concentré, un poil timide, parfois distant, Anri Sala travaille et cherche sans discontinuer. « Quand je l’ai rencontré en 2000, se souvient sa galeriste parisienne Chantal Crousel, il était déjà très précis. Modeste, sensible, mais très déterminé à poursuivre sa vocation. » Sans doute est-ce Intervista (1998), vu à Lubjana et à Paris en 2000, qui déclenche la fièvre Sala. Un film à strates, qui met sa propre mère face à son passé de militante communiste. Des images d’archives muettes, auxquelles Anri Sala rend la parole. Il a 24 ans.
« Il a mûri depuis, mais il n’a pas changé, assure Chantal Crousel. Il est toujours capable de capter les vibrations des éléments de vie les plus fugaces, les plus accidentels, et de les rendre sensibles, visibles à tous. » « Je ne lui connais aucun défaut, confirme Christine Macel, qui signe le commissariat de son exposition à Beaubourg au mois de mai. Anri Sala, c’est un immense talent artistique basé sur une sensibilité d’une extrême finesse. » Une sensibilité nourrie à tous les seins. À Tirana d’abord, sous verrou communiste. Les parents naviguent dans les cercles artistiques et la mère, directrice de la Bibliothèque nationale, permet les lectures interdites.
Alors l’enfant lit, dévore, commence à peindre, ose l’huile, les couleurs, et soumet ses toutes jeunes œuvres au cercle parental. « Tout ce qui venait après l’impressionnisme était interdit, se souvient Anri Sala. J’ai eu accès au reste par fragments, de façon très improvisée, sans logique chronologique. » Et lorsque, en 1990, le pays s’ouvre et que les jeunes artistes expérimentent en affamés tous les styles du XXe siècle, lui se penche sur les techniques a fresco. « J’ai été un peu troublé par la libération, par cette précipitation, reconnaît-il. Je voulais ralentir, prendre le temps. » Ce qui ne l’empêchera pas d’être le premier étudiant des Beaux-Arts de Tirana à présenter une vidéo en fin de cursus. Ovation. « Après ça, j’avais l’impression d’avoir un peu “touché le plafond” sourit Anri. Je voulais voir d’autres rues, d’autres films. »
En France, la carrière décolle
Ce sera Paris et les Arts déco, un peu par hasard, un peu pour éviter les pays où « être Albanais est un handicap ». Il apprend auprès de Luc Barnier, brillant monteur d’Assayas et de Jacquot, apprend encore au Fresnoy et commence à distiller ses objets filmiques, récits flottants à tempos ciselés. Intervista (1998), Nocturnes (1999), Byrex (2000), Dammi i Colori (2003), les films se succèdent avec une maîtrise de tous les diables. Au programme : mettre en doute le langage, la vérité historique, mettre le monde en vibration par le biais du son et de la musique.
Très vite, il joue dans la cour des grands. Se voit même embarqué aux côtés de Tacita Dean, Matthew Barney ou Doug Aitken dans l’équipée opératique de Il Tempo del Postino, signée Hans Ulrich Obrist et Philippe Parreno. « Il a remplacé les mots par la musique, s’enthousiasme Christine Macel, pour aboutir à un travail de spatialisation sonore inédit, une maîtrise totale des rapports entre image, son et espace. » « Que se passe-t-il quand une exposition ne revendique pas l’espace mais le temps ? » demandaient Obrist et Parreno en 2007. Réponse ultime avec Anri Sala.
1974
Naissance à Tirana.
1992-1996
Académie des Beaux Arts à Tirana.
1996-1998
Arts décoratifs
à Paris.
1998-2000
Le Fresnoy.
1999
Participe au pavillon albanais
à Venise.
2011
Exposition monographique
au Musée des beaux-arts de Montréal.
2013
Représentera la France à la Biennale de Venise.
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Anri Sala, entre chat et loup
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Abonnez-vous dès 1 €« Anri Sala », exposition du 3 mai au 6 août 2012 au Centre Pompidou, Paris-4e, www.centrepompidou.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Anri Sala, entre chat et loup