Anri Sala projette de déroutantes variations au Centre Pompidou dans une ambiance sonore décalée.
PARIS - Anri Sala, né en 1974 à Tirana, en Albanie, vit et travaille entre Paris et Berlin. Après une première formation dans son pays d’origine, il a étudié la vidéo à l’École nationale des Arts Décoratifs, à Paris, et les techniques filmiques au Fresnoy au Studio national des arts contemporains de Tourcoing. Faisant suite à Christian Boltanski, Anri Sala a été choisi pour représenter la France à la prochaine édition de la Biennale de Venise. C’est dire combien il est apprécié par les institutions françaises. Si, lors de la précédente édition, celles-ci avaient retenu un artiste fortement consacré, alors déjà âgé de 67 ans, cette fois-ci, le rajeunissement sera considérable : un artiste de 38 ans représentera la France.
En présentant une unique œuvre – une installation – dans son actuelle exposition personnelle au Centre Pompidou, étape précédente à celle de la Biennale de Venise dans le cursus honorum, Anri Sala donne-t-il une première idée de sa future intervention dans la cité des Doges ? Si l’espace qui lui a été alloué au Centre Pompidou est vaste, une surface bien plus réduite – comme le pavillon français –, pourrait accueillir une œuvre tout à fait comparable.
L’exposition s’intitule uniquement « Anri Sala », sans aucun titre de l’œuvre présentée, ce qui ne livre guère de pistes pour aborder celle-ci. Le dépliant proposé au public est d’ailleurs descriptif, bien d’avantage qu’analytique ou explicatif. On y apprend qu’Anri Sala mêle images, sons et architecture dans ses œuvres qui se caractérisent par une implication profonde et subtile dans le registre sonore, mais aussi que l’installation est composée « comme une symphonie, constituée de quatre films récents assemblés en une boucle d’une heure, de diverses sources sonores, ainsi que d’objets et de photographies ». On aurait tort d’imaginer une profusion matérielle. Les objets sont au nombre de quinze : dix batteries et une boîte à musique perdues dans l’immensité de la salle, ainsi que deux gants en latex mauve recouvrant des mains accrochées au mur qui fait face à l’entrée, mais qui sont étonnamment passées sous silence dans la feuille d’accompagnement à l’exposition – ne feraient-elles donc pas sens ou n’auraient-elles aucune importance ? –, puis seulement deux photographies. Les films ont été tournés à Sarajevo, Berlin, Mexico et Bordeaux. Si la salle est plongée dans une semi-obscurité pour leur projection, le pan de mur qui donne sur la place Igor Stravinsky laisse fuser un peu de lumière puisqu’il est vitré, permettant de voir les passants qui avancent comme dans certains des films projetés. Les quatre films apparaissent par intermittence, en douze séquences projetées successivement ou parfois simultanément, au creux de cinq caissons ouverts de très grandes dimensions, au son, irrégulier, du célèbre hymne Should I Stay or Should I Go du groupe rock The Clash, d’une symphonie de Tchaïkovski ou des rythmes de batterie (le tout sans aucune recherche d’harmonie sonore, bien au contraire). Pourquoi ces sons ? Signalons que les deux photographies, en noir et blanc, reproduisent des motifs végétaux et sont accrochées au revers d’un des caissons. Là encore, aucune explication.
Un propos complexe
Difficile de ne pas être ici victime d’ennui. La technique ou le médium utilisés ne sont pas du tout en cause et peuvent donner lieu tout autant à des œuvres réussies qu’à des propositions ratées. Là où une artiste comme Janet Cardiff peut produire, en travaillant elle aussi à partir du son et de l’espace, parfois de l’image également, des pièces aussi stimulantes et magistrales que son célèbre Motet à quarante voix, ici le caractère brouillon et abscons du propos, par l’arbitraire, est frappant. Si les moyens déployés sont considérables, le dispositif se révèle grandiloquent pour un effet limité et un propos confus. À quoi bon montrer des films sans intérêt ni esthétique ni narratif, où règne surtout l’inexpressivité des personnages – lorsqu’un coup de feu retentit, le groupe de personnes que l’on voit se contente de relever la tête sans manifester la moindre émotion – et leur ennui sur une durée d’une heure (qui, passée la brève phase de curiosité, ne manque pas, tant le dispositif est lourd, de retentir sur le visiteur) ? Les enchaînements d’images ou de sons se poursuivent dans une cacophonie pas même joyeuse, sans que l’on ne puisse rien comprendre de leur fonction et, s’il y a si peu à voir et à comprendre, le spectateur n’est nullement obligé d’accepter ce qui semble trop relever d’un simple diktat de l’artiste.
Si le texte affiché à l’entrée de l’exposition n’apporte guère de clefs pour comprendre l’œuvre montrée, afin d’éclairer les intentions de l’artiste, quelles émotions ou quelle réflexion il vise à susciter, mais mentionne que la galerie parisienne Chantal Crousel a assuré son généreux soutien à l’exposition, la galerie Marian Goodman n’ayant, pour sa part, apporté que son… soutien.
Sans doute l’institution devrait-elle, au moins occasionnellement, se poser la question de sa programmation et de la place qu’elle entend – ou non – réserver aux publics, quel accueil et quelles rencontres ceux-ci sont en droit d’attendre d’un musée national.
Commissaire : Christine Macel
Anri Sala, jusqu’au 6 août, Centre Pompidou, galerie Sud, niveau 1, tous les jours sauf mardi 11h00 - 21h00, jeudi jusqu’à 23h. Catalogue, 160 p., bilingue français-anglais, 34,90 euros
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Insondable Anri Sala
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Abonnez-vous dès 1 €Vue de l'exposition d'Anri Sala au Centre Pompidou. © Photo : Hervé Véronèse/Centre Pompidou.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : Insondable Anri Sala