2012 pourrait bien être une année record dans l’enrichissement des collections publiques, mais un record qui risque de ne jamais être reconnu comme tel faute de données précises.
Selon le Palmarès des musées, réalisé depuis dix ans par le Journal des Arts, le montant total des acquisitions s’élève en 2012 à près de 104 millions d’euros, soit une hausse de 3 millions d’euros par rapport à l’année précédente. Certes, c’est moins que le record de 2009 (128 millions d’euros), mais ce montant ne comprend pas la donation à l’État (avec un dépôt à Avignon, à la Collection Lambert) du galeriste Yvon Lambert, évaluée à 90 millions d’euros, ni celle de Pierre Soulages au futur musée qui lui est consacré à Rodez (6,8 millions d’euros). La difficulté de comptabilisation réside dans la multitude des bénéficiaires, les nombreux canaux d’acquisition et de financement, et plus encore sur la valeur des œuvres pour lesquelles, derrière l’anonymat requis dans certaines procédures, il peut exister un écart de 1 à 10 entre la valeur déclarée aux assurances ou au fisc et celle, plus flatteuse, transmise à l’extérieur.
Malgré l’absence de statistiques officielles, on peut cependant estimer, sur la base du Palmarès du JdA, que les collections des musées nationaux et des collectivités locales se sont accrues en moyenne entre 93 et 130 millions d’euros par an au cours des dix dernières années. Rapporté aux transactions sur le marché international de l’art, ce montant est faible. Le tableau de Picasso Nu au plateau de sculpteur a ainsi été adjugé à New York en 2010 pour 80 millions d’euros (106,4 millions de dollars), soit presque une année complète d’acquisitions publiques en France. Mais sur le plan de l’histoire de l’art, les centaines de peintures, sculptures, dessins, objets et mobiliers divers qui sont entrés dans les collections possèdent une valeur inestimable.
La typologie des bénéficiaires est en revanche plus facile à dessiner et ressemble à une pyramide très pentue. Les quatre grands musées parisiens concentrent plus de la moitié des acquisitions. Ensuite, les montants diminuent très vite, ils ne sont que soixante musées à avoir enrichi leur collection de plus de 100 000 euros et près de 50 à n’avoir procédé à aucune acquisition. Depuis leur autonomie acquise en 2003, mettant fin à plus d’un siècle du système mutualiste de la Réunion des musées nationaux, et plus encore depuis l’instauration la même année de l’avantage fiscal attaché au mécénat d’acquisition, les moyens des grands musées parisiens ont été décuplés et ils en ont largement profité.
Des crédits d’acquisition en baisse continue
Les modes d’acquisition de ces œuvres destinées à entrer dans les collections et leur financement sont en revanche plus aisés à cerner, même si beaucoup d’imprécisions perdurent. Ainsi en est-il des crédits d’acquisition de l’État où le ministère de la Culture (dans l’annuaire des Chiffres clés de la culture) ne distingue pas crédits de paiement et dépenses fiscales. Selon les données publiées par la Revue du Trésor en mai 2008 (complétées par les montants indiqués dans les documents budgétaires de l’État), entre 1982 et 2004, les crédits d’acquisition oscillent entre 30 et 48 millions d’euros constants (en tenant compte de l’inflation). Mais brusquement, à partir de 2004, les montants alloués se mettent à baisser, jusqu’à atteindre 8,55 millions d’euros dans le projet de loi finances pour 2013, soit une division par 5 en neuf ans. Et même une division par deux entre 2012 et 2013, de sorte qu’en 2012 les crédits d’État ne pesaient plus que 16 % (hypothèse haute) dans le financement des acquisitions.
L’alibi des dépenses fiscales
La raison de cette baisse des crédits d’acquisition ? l’augmentation du mécénat, qui a permis aux différents ministres coincés dans leur équation budgétaire compliquée de se défausser sur cette dépense fiscale qui n’est pas comptabilisée directement dans leur budget. La réduction de l’impôt sur les sociétés de 90 % au titre du mécénat d’acquisition des « trésors nationaux » constitue en effet une recette fiscale de moins pour le budget de l’État. Or le mécénat d’acquisition ne comble pas la baisse des crédits d’État. Il atteint en moyenne 16 millions d’euros sur la période 2006-2012, alors que la baisse des crédits d’État est en moyenne sur la même période de 24 millions par rapport au budget de 2004. Par ailleurs, ce dispositif s’applique en priorité sur les acquisitions importantes, dont profite surtout le Louvre (Portrait du comte Mathieu-Louis Molé par Ingres en 2009 pour un montant de 19 millions d’euros ; Le Reniement de saint Pierre par les frères Le Nain, toujours en 2009, pour 11,5 millions d’euros…).
La dation en paiement de divers impôts, cette autre dépense fiscale, compense-t-elle alors la baisse des crédits ? Ce mécanisme inventé en 1968 et mis en œuvre en 1972 qui permet de payer ses droits de succession (puis l’impôt de solidarité sur la fortune) sous la forme d’œuvres d’art se présente en effet comme une valeur sûre. Entre 1982 et 2004, il permet d’enrichir les collections publiques, en moyenne de 19 millions d’euros (constants) chaque année. Le record date de 1979 avec les 130 millions d’euros des droits de la succession Picasso qui ont permis de créer le musée parisien. Mais depuis 2005, les contribuables commencent à bouder ce dispositif. Le montant annuel moyen a baissé à 14 millions d’euros, il a même touché un plancher à 5,66 millions d’euros en 2012.
La montée en puissance des Régions
Fort heureusement, la décentralisation et la prise de conscience par les collectivités territoriales de l’importance économique, sociale et touristique de leurs musées incitent de plus en plus les élus locaux, à l’exception de Paris (lire p. 22), à participer au financement des acquisitions. Ainsi que l’illustre l’acquisition de quarante-deux toiles d’Henri Martin par le Musée de Cahors (lire p. 23), ou encore celle de La Fuite en Égypte, de Poussin, en 2007, mise en dépôt au Musée des beaux-arts de Lyon, Villes, Départements et Régions ouvrent plus largement leur porte-monnaie. En l’absence de statistiques en la matière, il est difficile de mesurer nationalement le poids de ces collectivités dans le financement. Par recoupement et sachant que les collections des musées territoriaux (hors Paris) s’accroissent en moyenne de 20 millions d’euros sur les dix dernières années, on peut situer ces financements dans une fourchette annuelle de 2 à 3 millions d’euros. Reste enfin le don en espèces (marginal) ou en œuvres d’art, qui est depuis le XXIe siècle le principal canal d’enrichissement des collections publiques ; il peut même être à l’origine de la création de musées. Et la source ne semble pas se tarir puisque, sur les vingt dernières années, les exemples remarquables ne manquent pas : donation Daniel Cordier au Musée national d’art moderne en 1989, donation Jacques Thuillier au Musée Georges-de-La Tour à Vic-sur-Seille en 2003, donation Hélène Senn-Fouldes au Musée Malraux au Havre en 2004, donation Alice Tériade au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis en 2007… 2012 est donc une année faste. Entre la donation Lambert évoquée plus haut, celle des cent vingt-sept œuvres de Michael Werner au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ou la donation Soulages à Rodez, totalisant plus de 100 millions d’euros à elles trois, les libéralités plus ou moins désintéressées de ces artistes et marchands confirment l’importance de la donation. On est cependant encore loin des quatre-vingts tableaux cubistes évalués 800 millions d’euros donnés par l’héritier d’Estée Lauder au Metropolitan Museum of Art de New York, cette année.
Tout en réaffirmant les vertus de l’inaliénabilité des collections des musées, dans son rapport de janvier 2008, Jacques Rigaud (aujourd’hui décédé) avait entrouvert la porte des cessions s’agissant des œuvres du Fnac (Fonds national d’art contemporain) et des Frac (Fonds régionaux d’art contemporain) [lire le JdA n° 274, 1er février 2008]. En avril 2013, l’Ifrap, un think tank plutôt libéral, a relancé le débat en recommandant que le budget de fonctionnement des Frac soit « entièrement assuré par la vente annuelle de 10 % de leurs collections ». Il recommande même que les musées d’art contemporain limitent leurs réserves à 50 % de leur collection, en revendant « les œuvres (hors dons) qui ne peuvent pas être exposées et qui sont de moindre valeur pour la recherche et les expositions publiques ». Des positions extrêmes voire extrémistes qui affaiblissent l’argumentation.
Faut-il, comme le recommande la Cour des comptes dans son rapport de 2011 sur les musées nationaux que ceux-ci « élaborent des stratégies d’acquisitions pluriannuelles, ou à défaut, inscrire les orientations générales des politiques d’acquisition dans les projets scientifiques et culturels ou dans les contrats de performance » ? Les magistrats expliquent malicieusement dans leur rapport que les directeurs de musées interrogés ne s’y opposent pas alors que le ministère de la Culture en conteste le bien-fondé. Séduisant dans l’idée, l’exercice se révèle un peu vain dans la pratique. Si les lignes directrices de la politique d’acquisition sont déterminées par les collections existantes (combler les trous), les œuvres d’art étant des biens par nature uniques, les achats sont liés à des opportunités par définition imprévisibles. Par ailleurs, la plupart du temps, ces opportunités excèdent largement les crédits annuels des musées, il leur faut donc monter des financements croisés au cas par cas. Enfin, dans un contexte de concurrence croissant entre les musées, il n’est pas toujours judicieux de dévoiler son jeu, ne serait-ce que pour éviter que le vendeur ne fasse monter les enchères.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Année record pour les acquisitions ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Année record pour les acquisitions ?