Société

Andreï Molodkin invente une nouvelle forme d’art : la prise d’otages

MAUBOURGUET

L’artiste russe menace de détruire des œuvres d’art si Julian Assange meurt en prison.

Andrei Molodkin, Dead Man’s Switch, 2024, bombe au milieu de seize caisses contenant des oeuvres d'art. © The Foundry Studio
Andrei Molodkin, Dead Man’s Switch, 2024, bombe au milieu de seize caisses contenant des œuvres d'art.
© The Foundry Studio

Londres (Grande-Bretagne) et Maubourguet (Hautes-Pyrénées). Une semaine avant l’audience qui statuera sur l’extradition de Julian Assange en février à Londres, l’artiste russe Andreï Molodkin (agé de 57 ans) a annoncé, vidéos et photos à l’appui, dissoudre des œuvres d’art à l’acide si le fondateur de WikiLeaks mourait en prison.

C’est dans une pièce sécurisée de The Foundry, le musée alternatif de l’artiste situé à Maubourguet près de Tarbes, que 16 œuvres de Picasso, de Rembrandt et d’autres artistes contemporains, Molodkin compris, auraient été enfermées dans des caisses reliées à un système d’explosifs et de produits corrosifs. Deux minuteurs permettent d’enclencher le mécanisme, l’un placé dans ce coffre-fort, l’autre dans les mains d’un proche de Julian Assange, anonyme, chargé de confirmer que le journaliste est toujours en vie.

Coup de bluff ? Molodkin affirme que les œuvres sont des dons de leurs propriétaires désireux de participer à son projet qu’il assimile à une installation artistique. Son titre, Dead Man’s Switch signifie « l’interrupteur de l’homme mort ». L’artiste activiste cite certains collectionneurs consentants tels que Giampaolo Abbondio, Anatoly Parkhomcuk, Catherine Flurin ou encore Fabien Nordmann, et les artistes ayant donné leurs propres œuvres : Andres Serrano, Santiago Sierra, Sarah Lucas, Jon Rafman, Franko B.

45 millions de dollars d’œuvres d’art

« Cette œuvre est un portrait contemporain de Julian Assange, précise Molodkin. Mais au lieu d’utiliser de la peinture à l’huile et une toile comme les peintres d’autrefois, j’utilise une pièce sécurisée, un interrupteur et des explosifs. » Il entend aussi soulever la question de la valeur de l’art. Ces œuvres pourraient valoir 45 millions de dollars (41 millions d’euros), une valeur monétaire qu’il compare à la vie de Julian Assange. « Dans notre monde capitaliste, détruire l’art est un plus grand tabou que détruire des vies humaines », souligne-t-il.

Ce qui l’intéresse chez Julian Assange, c’est surtout le symbole de la liberté d’expression et d’information. Plus le journaliste australien reste en prison et plus la liberté est menacée. « Je viens de l’ex-Union soviétique. J’ai passé deux ans dans l’armée où j’ai connu la répression. » Molodkin refuse une société où l’on se fait punir si on ne suit pas les opinions majoritaires. C’est d’ailleurs la raison qui l’a poussé à quitter son pays d’origine. « Aujourd’hui, vous pouvez écoper d’une peine de sept ans d’emprisonnement si vous émettez des critiques ou si vous donnez des informations sur une situation militaire. Si l’on ne peut pas parler d’un sujet qui puisse représenter un danger pour le pouvoir, alors tout le monde est en danger. » Les guerres actuelles, en Ukraine et à Gaza, montrent déjà, selon lui, les limites des démocraties modernes. L’art représenterait le dernier territoire de liberté.

L'installation d'Andreï Molodkin est conservée dans un caisson de sécurité pesant 32 tonnes. © The Foundry Studio
L'installation d'Andreï Molodkin est conservée dans un caisson de sécurité pesant 32 tonnes.
© The Foundry Studio


L’artiste conceptuel se défend toutefois de faire de l’activisme. « Je n’ai plus de contrôle sur l’œuvre. C’est une entreprise de sécurité qui contrôle la libération de l’acide et la décision repose entre les mains de l’administration américaine. La sculpture a sa propre vie. Ainsi, je crée de l’art, je n’en détruis pas. » En se déresponsabilisant de la sorte, Andreï Molodkin explique faire de la provocation plutôt que de l’activisme, un peu à la manière de son compatriote Piotr Pavlenski, condamné à six mois de prison pour avoir diffusé une vidéo intime de Benjamin Griveaux.

Art extrême et institutions muséales

The Foundry est devenu la « plateforme » de « cette forme d’art que personne ne peut réaliser ailleurs ». Cependant, cet art finit parfois par atterrir dans les plus grandes institutions. Liquid Modernity, réalisé par l’artiste en 2009, fait maintenant partie de la collection de la Tate Modern, tout comme l’installation Forward d’Erik Bulatov, créée à The Foundry. Andreï Molodkin n’y voit pas de contradiction : « Il est important de comprendre comment les structures du pouvoir fonctionnent. Nous communiquons avec ce dernier dans le même langage. »

Ce projet est un coup de communication pour l’artiste, reposant sur la médiatisation du procès de Julian Assange, même si Andreï Molodkin se défend de vouloir en profiter : « Je ne fais que réaliser le portrait d’une personnalité connue, comme les peintres d’autrefois. » Ce dernier espère en tout cas participer à la libération de Julian Assange. Son équipe serait en contact avec le ministère de la Culture américain pour négocier la « libération de ses otages ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : Andreï Molodkin invente une nouvelle forme d’art : la prise d’otages

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