Ai Weiwei, épine dans le pied de Pékin

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 21 février 2012 - 608 mots

Ventre rebondi, barbiche buisson, la silhouette massive d’Ai Weiwei s’est d’abord affichée sur les cimaises du monde entier.

Ici Bouddha grassouillet, là idiot magnifique bondissant nu comme un ver, là encore tout sourire sur la place Tian’anmen, le torse barré d’un franc « fuck » tatoué aux UV, ou encore, tirant un doigt ferme devant des icônes du patrimoine mondial, portrait de Mao compris.

Ça, c’était avant qu’Ai Weiwei ne soit propulsé gros caillou médiatique dans la chaussure de Pékin. Avant qu’Anish Kapoor ne lui dédie son Léviathan, que Salman Rushdie lui consacre une tribune, que le Time Magazine l’élise « Homme de l’année 2011 » et qu’il devienne l’artiste le plus célèbre de la planète. Quitte à ce que l’actu recouvre l’œuvre.

Né sous le signe du politique
Rappel des faits : le 3 avril 2011, le plasticien est arrêté à l’aéroport de Pékin et mis au secret, officiellement pour suspicion d’évasion fiscale. Rideau pendant quatre-vingt-un jours et mobilisation planétaire. Blogs, tweets, réseaux sociaux, les outils dont l’artiste s’était déjà fait l’utilisateur obstiné s’organisent. Libération avec obligation de silence. Promesse non tenue par l’insolent et répression, financière cette fois. La toile s’agite et les dons de la population chinoise affluent, jusqu’aux petits billets pliés façon avion et jetés au petit bonheur la chance par-dessus le mur de l’atelier du proscrit.

L’affaire aura jeté un sérieux coup de projecteur sur une communauté d’artistes sous pression et sur un régime coincé entre embarras et répression. Et toute révoltante qu’elle soit, l’affaire pointe le singulier parcours d’un artiste, placé d’emblée sous le signe du politique. À commencer par la figure paternelle, celle du célèbre poète Ai Qing (1910-1996), héros de la Chine communiste qui goûta un temps les camps de travail en Mandchourie. « Le jour de ma naissance, mon père a été la cible de persécutions politiques, déclarait Ai Weiwei à Libération en septembre dernier. L’art pour moi est nécessairement de nature politique. La politique est ma vie, mon destin. » C’est dit. En 1979 déjà, le garçon formé au cinéma cofonde « The Stars », un groupe frondeur d’artistes assoiffés de nouveauté et de rupture. Premières censures suivies d’une séquence nourricière à New York. Douze ans à y faire ses griffes photographiques et à mettre ses compteurs de l’art à jour – Duchamp et Warhol en tête.

Incontrôlable
Au retour, en 1993, il est armé jusqu’aux dents. Tous les moyens seront bons pour autopsier l’histoire et décrire la société chinoise : photographie, performances, installations, architecture, blog… Pour un mélange politiquement explicite de post-pop mâtiné de manières conceptuelles. Entre poil à gratter et figure nationale, il souffle le chaud et le froid, participe au dessin du Nid d’oiseau pour les JO de Pékin, mais refuse d’y assister, ouvre un atelier, se fait pédagogue, passeur, mentor. Indispensable mais peu contrôlable. D’autant que l’agitateur court volontiers les manifestations internatio­nales.

En 2008, il attaque la gestion du tremblement de terre au Sichuan. Résultat : un amoncellement glaçant de cartables d’enfants morts sous les décombres des écoles construites à la va-vite et une liste des victimes sur son blog. Un passage à tabac, une destruction d’atelier plus tard, il est arrêté. Si Weiwei twitte encore, le blog lui est bel est bien fermé et c’est à peine si le site de l’atelier respire encore. L’exposition du Jeu de Paume s’est bien sûr inaugurée sans l’artiste. La parole est aux œuvres. Pour l’instant.

Biographie

1957
Naissance à Pékin.

Années 1980
Il photographie New York avant de revenir dans sa ville natale en 1993.

2011 
Il est placé en détention par les autorités chinoises. Libéré sous caution le 22 juin, il est interdit de sortie du territoire.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : Ai Weiwei, épine dans le pied de Pékin

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