ISTANBUL (TURQUIE) [20.09.17] - La 15e édition de la Biennale stambouliote a ouvert le 16 septembre. Intitulée « A Good Neighbour », son commissariat a été confié à Elmgreen & Dragset. Jusqu’au 12 novembre, le duo d’artistes danois propose dans six lieux de la ville une lecture artistique et politique autour de ce thème du « bon voisin », prétexte pour aborder des zones sensibles, migration et dérives dictatoriales.
Une maison des années 1940 sur les hauteurs du quartier de Cihangir, surplombant le Bosphore. Le visiteur entre dans la demeure de « l'homme qui pleure », puis déambule de pièce en pièce, dans cet univers délaissé du jour au lendemain. Créant un effet troublant de voyeurisme, l'histoire racontée par Mahmoud Khaled, artiste égyptien vivant désormais aux Pays-Bas, est celle d'un homme discret, vivant au Caire, qu'aucun voisin ne connaît, et qui disparaît subitement. Porté par le récit délivré par l'audioguide, le visiteur finit par imaginer le pire pour ce personnage gay dans un pays qui réprime sévèrement l'homosexualité.
L'œuvre, l'un des moments forts de la Biennale, résume à elle seule les ambigüités de ce que doit être aux yeux des autres et de la société « un bon voisin », titre de cette biennale. Les propositions de la cinquantaine d'artistes sélectionnés par les commissaires oscillent ainsi entre préoccupations locales et considérations géopolitiques globales, dénonçant au passage les restrictions des libertés en Turquie. La question du problème des réfugiés est aussi posée.
Pour illustrer les défis des rapports humains locaux, Rayyane Tabet, dans Colosse aux pieds d'argile, 2015, recrée un champ de colonnes, antiques ou modernes. Ces colonnes, trouvées dans les ruines d'une maison de Beyrouth, sont une métaphore de la mobilisation d'habitants du quartier contre un promoteur peu scrupuleux. Quand les troubles locaux rejoignent les problèmes de politique régionale, cela donne la très poignante vidéo de Erhan Özgen, Wonderland, montrant un garçon syrien de 13 ans, qui, traumatisé par les exactions commises dans son pays et ayant fui en Turquie, refuse de parler et relate ce qu'il a vécu par les expressions de son corps. Victor Leguy, avec Structure for invisible borders, 2016-2017, choisit d'évoquer les difficultés pour les réfugiés syriens de se fondre dans la société turque. Pendant une année, il les a côtoyés, a collecté leur histoire et un objet de leur vie passée. Repeints en partie en blanc, ces objets semblent s'annihiler et se dissoudre sur le mur d'accrochage.
Malgré la voie préoccupante que prend le régime turc, les organisateurs de la Biennale semblent avoir eu les coudées franches dans la programmation. Plusieurs commandes ont été passées, dénonçant pour certaines les dérives totalitaires, comme dans cette pièce de Latifa Echakch, Crowd fade, 2017, présentée à Istanbul Modern. La fresque, répartie sur deux murs formant un couloir, montre une foule compacte de manifestants, évoquant les événements anti-régime réprimés sur la place Taksim, à Istanbul. Celle-ci s'efface sous les coups de marteau-piqueurs, les restes s'éparpillent sur le sol.
La Biennale se déploie sur six lieux, dont un seul manque un peu sa cible : le Pera Museum. Les volumes étriqués du site, associés à des œuvres, certes d'artistes internationaux mais peu représentatives – par exemple cette petite litho de Louise Bourgeois, perdue dans un coin de salle – laissent le visiteur dubitatif.
Gratuite, la manifestation, a attiré dès le week-end d'ouverture Stambouliotes et touristes, notamment européens, venus en voisins, surpris - et rassurés - de constater que la scène artistique contemporaine turque reste mobilisée et attentive au contexte politique.
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La Biennale d'Istanbul, entre problématiques locales et enjeux mondiaux
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Abonnez-vous dès 1 €Latifa Echakch, Crowd Fade, 2017, fresque. Courtesy Galerie Kamel Mennour (Paris), Kaufmann Repetto (Milan), Galerie Eva Presenhuber (Zurich), Dvir Gallery (Tel Aviv). © Photo : Sahir UÄŸur Eren.