PARIS [21.04.15] - La photographe de presse a été condamnée, le 13 mars 2015, pour avoir utilisé ses photographies numérisées par l’agence Gamma, qui avait perdu les originaux argentiques, sans l’autorisation de cette dernière. Retour sur plusieurs années de procédures.
Malheureux cas d’école, les récentes procédures judiciaires de la photographe Marie-Laure de Decker résument à elles-seules les problématiques auxquelles de très nombreux photojournalistes sont confrontés depuis le déclin de leurs anciennes agences, la mutation de leur métier mais aussi la hausse de la cote de leurs tirages d’époque sur le marché.
Ancienne photographe reporter de l’agence Gamma de 1971 à 2009, devenue entretemps Eyedea Presse, Marie-Laure de Decker résiliait, le 28 juillet 2009 soit deux jours avant le redressement judiciaire de la société, son contrat de mandat et souhaitait reprendre possession de ses photographies. N’ayant pu obtenir la restitution de l’ensemble de ses originaux argentiques, la photographe assigna alors en référé le repreneur du fonds Gamma, la société Gramma-Rapho. Cette dernière restitua à l’audience deux clichés couleur de Dalida, tout en contestant tout droit de la photographe sur les 770 fichiers numérisés à partir de ses clichés originaux.
Le TGI retint, le 4 septembre 2012, que la numérisation réalisée à l’époque par Eyedea Presse ne constituait « pas un acte d’exploitation » et qu’en conséquence, l’agence n’avait commis aucune atteinte au droit de reproduction « car celle-ci ne pouvait exercer son activité d’agence sans effectuer cette numérisation pour présenter et offrir les clichés aux différents supports de presse clients de l’agence ». Seule l’agence était donc propriétaire desdits fichiers, sans pour autant pouvoir les exploiter, leur auteur s’y opposant. La demande de restitution de ces fichiers ne pouvait qu’échouer, le tribunal soulignant dès ce moment que la photographe utilisait « sur sa page Facebook des fichiers numériques de ses œuvres appartenant à la société défenderesse sans les avoir acquis ou en avoir reçu l’autorisation ». Condamnée à payer 5 000 euros au titre des frais de procédure, la photographe interjeta appel. Cependant, faute de nouveaux éléments, qui auraient pu démontrer par exemple l’absence de recherche effective des clichés originaux perdus, Marie-Laure de Decker est à nouveau déboutée et condamnée à verser 5 000 euros supplémentaires le 19 mars 2013. Emu, le monde des photojournalistes avait prévu une vente de tirages au profit de la photographe, vente qui n’aura cependant jamais lieu.
Eyedea Presse ne lui versera jamais ses indemnités
Quelques mois auparavant, le 10 janvier 2013, la photographe avait pourtant réussi à faire condamner par le TGI de Paris la société Eyedea Presse, alors en liquidation, à lui verser plus de 840 000 euros de dommages et intérêts au titre de ses préjudices matériel et moral, résultant de la perte des clichés originaux. Problème : la société ayant déposé le bilan en juillet 2013, la photographe ne sera jamais indemnisée.
Dépositaire des films et des vintages de Marie-Laure de Decker, l’agence avait l’obligation de les lui restituer. L’absence de liste précise des films confiés, à laquelle s’ajoutaient la délicate détermination du nombre de clichés exploitables par film – les fameux points rouges – et celle de la valeur moyenne de ces clichés donna lieu à un calcul quelque peu ubuesque afin de parvenir à la somme finalement retenue.
Condamnée pour avoir posté ses photos sur Facebook
Le TGI de Paris, saisi par Gramma-Rapho repreneur du fonds Gamma, vient de condamner, le 13 mars 2015, la photographe pour avoir exploité sans autorisation ses photographies en utilisant les fichiers numérisés de ses originaux perdus. Selon la société, leur publication par Marie-Laure de Decker sur sa page Facebook et sur son site personnel constituait une utilisation frauduleuse constitutive de parasitisme. Or, selon le tribunal, « il convient de distinguer conformément aux dispositions de l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle, d’une part, les œuvres photographiques sur lesquelles la photographe détient des droits incorporels et, d’autre part, le fichier numérisé comportant l’image, qui est le support de l’œuvre et qui constitue un élément corporel ».
L’agence de presse ayant fait procéder à ses frais à la numérisation des clichés argentiques dans le but de promouvoir les images, ce qu’elle était en droit de faire, même sans l’autorisation de la photographe, est bien propriétaire des fichiers, conformément à la décision de la cour d’appel de Paris du 19 mars 2013. Leur utilisation par la photographe, sans le consentement de l’agence, est donc fautive. Néanmoins, le préjudice subi s’avère, selon le tribunal, limité. En effet, l’agence ne peut aucunement exploiter ces fichiers, ce qui oblitère ainsi leur valeur marchande, en l'absence d’autorisation d’exploitation de l'auteur. Au regard des circonstances de l’affaire et du retrait des fichiers litigieux des différents sites Internet, la photographe a été condamnée sur ce fondement à 1 000 euros, aucune indemnité liée aux frais de procédure n’étant prononcée. Le montant retenu s’avère bien éloigné des demandes formulées qui s’élevaient à 60 000 euros, l’agence ayant toutefois proposé à la photographe la vente des clichés numérisés pour la somme de… 167 090 euros, en contrepartie du fastidieux travail de numérisation.
Les films perdus de Marie-Laure de Decker ne subsistent aujourd’hui, pour partie, que sous format numérique. Mais la propriété incorporelle, celle du photographe, et la propriété corporelle, celle de l’agence, étant indépendantes, l’absence d’entente entre leurs propriétaires paralyse leur exploitation. Le nœud de l’affaire est ici et le droit ne peut que s’en faire l’écho.
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Les déboires judiciaires de la photographe Marie-Laure de Decker
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Le photographe Francis Apesteguy a lancé une pétition sur Internet pour soutenir Marie-Laure de Decker : www.mesopinions.com