LE PUY-EN-VELAY
La cinquième et dernière « Conférence capitale » a présenté deux expériences exemplaires, dans les Hauts-de-France et le Cantal, de projets culturels « systémiques » en milieu rural.
« Comment faire de la culture dans un territoire aussi vaste et aussi rural ? » Maire d’une commune de 780 habitants et vice-président chargé de la culture à la communauté d’agglomération du Puy-en-Velay (Haute-Loire), Marc Giraud énonce ici un défi auquel tout élu exerçant dans le même contexte territorial est un jour confronté.
Selon l’historien et académicien Pascal Ory, « cette problématique du rapport entre ruralité et culture n’est pas celle qui suscite le plus d’intérêt au sein de la société culturelle, qui, en Occident, privilégie surtout la ville ». Or, rappelle-t-il, le concept même de « culture » découle d’une métaphore qui vient du monde rural. « Sous le Second Empire, il n’y avait aucune ambiguïté à ce que le périodique La Culture ne traite que d’agriculture. C’est le XXe siècle qui a puisé à pleines mains dans cette métaphore au point d’en faire oublier la source. »
Si l’on considère qu’il n’y a « rien d’obsolète à poser aujourd’hui la question des spécificités d’une politique culturelle en direction du monde rural », encore faut-il en saisir les évolutions. « Au XXIe siècle, il y a en réalité deux types de ruralité » : la ruralité des ruraux et la ruralité des rurbains, qui est celle d’un retour à la campagne. « Mais il ne faut pas oublier les rurbains périodiques, touristes et estivants – ni secondaires ni centraux […]. La politique culturelle à destination du milieu rural doit intégrer ces trois publics qui peuvent se croiser mais qui ont des attentes tout à fait différentes. » Pour l’historien, les enjeux se concentrent autour de la question du désenclavement et de l’axe artistique évoquant la symbiose Nature-Culture, « deux axes en somme raccords avec notre époque, férue de lutte contre les exclusions (ici spatiales et donc socio-économiques) et férue d’écologie ».
Arts plastiques et spectacle vivant
Sur le terrain, Alix Dutrieux, cheffe de projet « Réseau et Belles Sorties » à la Métropole européenne de Lille (MEL), et Delphine Gigoux-Martin, artiste et professeure à l’Ensa (École nationale supérieure d’art et de design) Limoges, travaillent à désenclaver culturellement les campagnes – le Nord a aussi des territoires ruraux – par le spectacle vivant et l’art contemporain. Venues témoigner d’expériences différentes dans la forme, elles font néanmoins appel aux mêmes ressorts afin de parvenir à de véritables outils d’animation culturelle en milieu rural.
Le premier impératif est de bien connaître les spécificités du territoire dans lequel le projet doit s’implanter, afin d’évaluer les besoins. À l’origine des Belles Sorties, Alix Dutrieux se souvient qu’il y a une dizaine d’années la présidente de la métropole lilloise, Martine Aubry, « avait voulu mettre des chapiteaux partout sur le territoire. On s’est demandé si cela était vraiment opportun : en faisant un état des lieux, on s’est rendu compte qu’on avait déjà suffisamment de forces vives sans avoir à se doter d’une unité mobile ». Soit une quinzaine d’équipements culturels labellisés sur lesquels s’appuyer.
S’esquisse alors le concept des Belles Sorties : chacune des 75 communes partenaires de la métropole, recensant entre 300 et 15 000 habitants, sélectionne parmi les 15 spectacles proposés par les institutions culturelles celui qu’elle désire accueillir, à raison d’une représentation par an. L’objectif ? Permettre aux communes disposant de peu de ressources de bénéficier localement du savoir-faire d’établissements culturels spécialisés. « La métropole n’intervient qu’aux interstices, au niveau de la mise en valeur et de la mise en réseau. »
Pour Delphine Gigoux-Martin, bien connaître le contexte géographique, historique, social et les acteurs du projet fut pareillement déterminant. Son travail artistique commença par une visite du lac de Saint-Étienne-Cantalès dans le Cantal, où devait s’inscrire la commande publique. « Une première rencontre » qui fonde sa compréhension du paysage à la topographie profondément façonnée par un barrage hydraulique – une voûte de béton, construite grâce aux réfugiés espagnols et inaugurée par le général de Gaulle le 2 juillet 1945. Un lieu à la double vie, diurne et nocturne, produisant de l’électricité le jour et accueillant les réseaux de résistance clandestins la nuit, progressivement oublié au profit du lac en surplomb. « Le barrage disparaît de la vue et cela me donne l’idée qu’il faut venir travailler sur cette partie invisible du paysage. »
L’accompagnement, une des clefs du succès
Afin d’éviter les projets interchangeables, associer et accompagner constitue une autre clef d’implantation efficace. Les Belles Sorties invitent les municipalités à respecter une « charte d’engagement » : il s’agit pour les communes d’effectuer un travail de sensibilisation auprès de leurs habitants, ainsi que de mettre à disposition une personne de l’équipe municipale. « Ainsi, tout le monde prend part au projet, qui n’est pas simplement parachuté dans un endroit. » À la fin, « chaque équipe municipale se mobilisant peut devenir un ambassadeur de l’événement et inviter les habitants à venir partager ce moment de spectacle vivant à côté de chez eux. »
De la même façon, pas question pour Delphine Gigoux-Martin de simplement « caser » une création préconçue. Dans l’œuvre Aster, elle « réinjecte l’histoire du barrage » en recréant le ciel du 8 mai 1945 à l’aide d’étoiles en porcelaine luminescente fabriquées à Limoges. « J’ai accompagné le projet avant sa réalisation de beaucoup de conférences publiques avec les élus, les services de tourisme et de culture de l’agglomération, explique-t-elle. De même, quand le montage de l’œuvre a commencé, nous avons réalisé tout un réseau d’affiches, un site Internet très complet… » Sensibilisés à la démarche artistique en train de se faire, les locaux s’approprient l’œuvre et peuvent en devenir à leur tour médiateurs.
Mais pour que le greffon prenne, il faut savoir s’adapter. Aster a donc aussi été conçue en fonction du rythme de la vie locale. Des projections animées viennent ainsi, à la tombée de la nuit, illuminer le barrage d’animaux, différents selon les jours de la semaine afin de satisfaire le public d’estivants « qui reste dans le Cantal en moyenne deux à trois jours et qui ne verra ainsi pas deux soirs de suite la même chose ».
Créer des rendez-vous
À Lille, l’adaptabilité est de mise. Les spectacles proposés doivent pouvoir se tenir dans des lieux parfois inédits (granges, cantines…). « La règle de base est de proposer des spectacles qui peuvent se jouer n’importe où, les communes n’étant pas toutes équipées d’un espace culturel avec une équipe technique à demeure, souligne Alix Dutrieux. L’idée, c’est le “sur-mesure” et le tout-terrain » dans la continuité « d’une dynamique locale plutôt que dans le bouleversement ».
Enfin, il faut savoir dès le départ que le projet ne se termine pas avec sa réalisation : l’inscription dans une temporalité longue est tout à la fois le signe d’un projet réussi et un but à poursuivre. Dans le cas d’Aster, cela se concrétise, entre autres, par la convocation de la dimension événementielle puisque l’anniversaire de l’œuvre sera célébré chaque 2 juillet.
À Lille, les Belles Sorties sont, elles, d’ores et déjà devenues un « rendez-vous attendu », permettant souvent à des équipes municipales néophytes de mettre le pied à l’étrier de la programmation culturelle. Depuis dix ans, ce sont quelque 75 850 spectateurs qui ont pu profiter d’événements à moins de 5 km de chez eux, avec un budget de 4 000 à 5 000 euros par ville et par représentation.
Car une inscription dans le temps long est synonyme d’un impact plus durable. « Finalement, ce dispositif est aussi devenu un outil de gouvernance territoriale. Cela nous a permis, en dix ans, d’instaurer des échanges réguliers avec l’ensemble des petites et moyennes communes du territoire, et de créer une habitude de travail entre équipes municipales et équipements culturels », alimentant ainsi de « belles passerelles », conclut Alix Dutrieux.
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