MOULINS
La seconde des cinq « Conférences capitales » s’est aussi interrogée sur les pratiques culturelles des étudiants à l’Université
Quatre intervenants étaient réunis à Moulins (Allier) le 20 octobre dernier pour montrer en quoi l’Éducation artistique et culturelle (EAC) à l’école et les écoles d’art peuvent être des leviers de développement dans les régions.
Pour Pascal Ory, historien et académicien, la spécificité française du centralisme parisien a constitué un atout dans le champ de l’EAC. « Il suffit de se plonger dans l’histoire culturelle des communes de France pour se rendre compte à quel point le modèle parisien a été efficace dans les décisions prises dès le XIXe siècle par des conseillers municipaux pour créer l’école des beaux-arts ou le conservatoire local… » Un autre point d’intérêt a été, selon lui, le « culturalisme français » : « Au début, le ministère des Affaires culturelles a été créé, non pas contre, mais en distance avec l’Éducation nationale, a-t-il rappelé. Une bonne partie du travail de rétablissement des passerelles est encore en cours, avec la mise en place de dispositifs tels que l’“École au cinéma”, “Collège au cinéma”… Et c’est peut-être là que la notion d’EAC trouve tout son sens. »
Un exemple réussi du programme Éducation artistique et culturelle
Créé en 2005, le Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle est l’opérateur qui manquait pour donner une visibilité institutionnelle à l’EAC. Il s’est attelé en 2016 à la rédaction d’une « Charte pour l’éducation artistique et culturelle ». « S’agit-il d’éducation par l’art ou à l’art ?, interroge Emmanuel Ethis, recteur de l’académie de Rennes et animateur du Haut Conseil. Faut-il pratiquer ou faut-il d’abord savoir pour pratiquer ? Nous avons conclu que les deux aspects étaient au même niveau. »
En 2017, l’objectif du président Emmanuel Macron est que « 100 % des enfants [soient] touchés par les trois dimensions que sont la pratique artistique, la fréquentation des œuvres et la rencontre avec les artistes, l’acquisition de connaissances dans le domaine des arts et de la culture ». Or, selon une étude récente du ministère de la Culture, encore 25 % des jeunes n’ont pas eu d’expérience relevant de l’EAC durant leur parcours. Pour Emmanuel Ethis, « c’est un enjeu de politique publique : il s’agit de réfléchir sur les territoires afin de toucher l’ensemble de la jeunesse ». Car, « au-delà du mot d’ordre et de la feuille de route du ministère, c’est d’abord une histoire de territoires. Il faut des projets qui se montent selon une logique partenariale à l’échelle territoriale. » Le recteur de l’académie de Rennes a ainsi présenté un exemple de projet EAC intitulé « Raconte-moi en grand ». Sur une année scolaire, et en liaison avec les principales matières enseignées, les enfants de deux écoles bretonnes, de la maternelle au CM2, ont rencontré la dernière habitante du château de la Roche-Jagu (Côtes-d’Armor), qui leur a raconté l’histoire des lieux. Une histoire que les enfants ont ensuite illustrée avec l’aide d’un artiste vidéaste, afin de produire un petit film projeté sur la façade du château. « Tout le monde est réuni pour la restitution du projet – enfants, parents, professeurs – et raconte sa part de participation. Cela permet à chacun de s’approprier ce projet et ce patrimoine de proximité, et d’en devenir un ambassadeur. » Le tout pour un coût global modeste de 8 000 euros.
L’enjeu de la diversité des pratiques culturelles à l’Université
S’il y a un lieu où il serait utile de promouvoir davantage l’EAC, c’est à l’Université, comme le constate Mathias Bernard, président de l’Université Clermont-Auvergne, qui accueillait la conférence dans l’antenne de Moulins. Une conséquence, suggère Pascal Ory, de « l’indifférence des universités françaises à ces enjeux d’éducation artistique jusqu’à une période assez récente ? ». Car si les étudiants ont des pratiques culturelles, celles-ci sont encore trop fortement conditionnées par des déterminations, qui vont des origines socio-familiales aux filières de formation, en passant par le lieu d’études, les réseaux personnels et empêchements divers (handicap, travail…). Pour Mathias Bernard, « il y a un véritable enjeu de démocratisation culturelle ».
Des solutions existent, qui comportent cependant quelques limites. Ainsi, à l’Université Clermont-Auvergne, les ateliers de pratiques artistiques et culturelles n’attirent que 800 étudiants sur les 40 000 du campus, dont une majorité d’étudiants sont issus des filières Lettres, Arts du spectacle ou Médiation culturelle. Mathias Bernard se demande alors « comment être plus volontariste. Une des pistes les plus pertinentes serait d’intégrer l’EAC dans les maquettes de formation de l’ensemble des filières, et non pas seulement dans l’enseignement optionnel ».
En attendant, l’Université de Clermont-Auvergne a mis en place quelques actions concrètes, comme les résidences d’artistes, « très efficaces pour élargir les publics. Surtout, cela engendre un autre rapport de l’étudiant avec l’art et le métier d’artiste, avec un effet durable dans le rapport à la culture développé par des étudiants qui avaient jusqu’alors un statut de simple consommateur », observe-t-il.
L’union fait l’attractivité
Les pratiques culturelles ne sont évidemment pas un problème dans les écoles d’art, explique Christelle Kirchstetter, directrice de l’École nationale supérieure d’art et de design (Ensad) de Nancy, héritière de l’École de Nancy dont le projet, à l’origine, « est de pouvoir proposer une production artistique locale, avec des ressources et des compétences locales ». À la question : « Comment rendre attractive une école d’art sur le territoire ? », l’Ensad de Nancy a répondu en constituant en 1999 une alliance singulière, dénommée Artem (pour « Art, technologie et management »), avec l’École des mines Nancy et l’ICN Business School. Les trois écoles proposent ainsi un parcours en trois ans, au sein d’un campus commun où les étudiants en art et design, en management ou en ingénierie apprennent à travailler et réfléchir ensemble dans le cadre d’ateliers thématiques.
Cette pédagogie innovante est devenue un vecteur d’attractivité pour les étudiants au-delà de la région. « Depuis cette année, la sociologie des candidatures a radicalement changé. Nous sommes passés à 80 % d’étudiants venant de toute la France contre 30 % précédemment, détaille la directrice. Nous avons interrogé les étudiants : ce qui les a attirés, c’est bien Artem, c’est comment on fait interdisciplinarité sur un campus partagé. »
À l’occasion de la séance d’échanges, animée, qui s’ensuit avec la salle et les visionautes, l’un des auditeurs regrette que l’éducation populaire n’ait pas été « assez évoquée ». Remarque pertinente qui mériterait un colloque à part entière sur l’étiolement dommageable au fil du temps du rôle des associations socioculturelles.
Sur le thème « Environnement et territoires », elle se déroulera à l’Hôtel de Ville de Brive-la-Gaillarde.
Inscription et informations sur :
clermontferrandmassifcentral2028.eu
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°577 du 12 novembre 2021, avec le titre suivant : L’éducation artistique, un atout formidable pour le développement territorial