CLERMONT-FERRAND
La première des cinq « Conférences capitales » a mis en évidence les synergies entre développement du territoire et identité(s) locale(s)
« Nous commençons, finalement, avec la thématique la plus complexe. » C’est ainsi que l’historien et membre de l’Académie française Pascal Ory a ouvert la première des cinq « Conférences capitales », organisées dans le cadre de la candidature de Clermont-Ferrand Massif central à la « Capitale européenne de la culture 2028 ». Il en profite pour relativiser le jacobinisme français : « La France est un modèle de centralisme […], mais ayant une tradition démocratique forte qui a permis des réflexions sur les territoires : c’est ainsi la France qui a poussé le plus loin les expérimentations en matière de décentralisation théâtrale. La synthèse doit se trouver dans des initiatives ayant une conception ouverte de la culture, intégrant aussi bien les formes artistiques installées que les formes plus “ethnologiques”, presque de sociabilité », comme la gastronomie, le patrimoine immatériel, les métiers d’art.
Mais comment définir le territoire et ce qui fait identité(s) dans le territoire ? Pour Pascal Ory, « c’est une institution, une association, un groupe qui, à la manière d’un animal, définit son territoire par ses déplacements et par les limites qu’il donne à un espace. Mais la notion de Massif central est plus souple car il n’y a pas de frontières rigides. »
« La notion de Massif central est au départ géographique, mais l’imaginaire que l’on peut lui appliquer en termes culturels est à inventer, selon ce que l’on va grappiller dans le concept d’“identité” » qui, pour le journaliste culinaire Éric Roux, est à voir comme « quelque chose de très progressif et anti-réactionnaire, qui est davantage une capacité à accepter ce que l’on est et ce que sont les autres ».
Trois intervenants, trois témoignages concrets
Alors comment s’appuyer sur l’identité locale et les traditions qui la constituent pour en faire des leviers de développements sociaux, économiques et culturels ?
Trois intervenants – Fanny Bannet, directrice des opérations chez Manifesto (agence de conseil et d’entrepreneuriat culturel), Luc Lesénécal, président des Tricots Saint James et de l’Institut national des métiers d’art (Inma), et Éric Roux, journaliste culinaire et animateur de l’Étonnant Festin (manifestation culinaire et festive annuelle) – étaient ainsi venus témoigner de cas pratiques où identité(s) et territoires travaillent de concert.
Pour chacun d’entre eux, un même constat de départ : que ce soit dans le cas d’un festival culinaire, de la promotion des métiers d’art ou de la création d’un tiers-lieu, une bonne connaissance du terrain et de sa singularité est un prérequis incontournable. « Nous n’utilisons peut-être pas le terme “identité”, mais quand on commence sur un site, on cherche à identifier les éléments qui fédèrent les personnes autour de valeurs communes, de figures historiques et de ce qui le rend singulier par rapport à d’autres territoires », explique Fanny Bannet. Même démarche pour l’Étonnant Festin d’Éric Roux : « Il y a d’abord un travail essentiel de connaissance, de prospection, d’ethnographie. » Il ajoute : « Très souvent, quand une région copie quelque chose qui fonctionne bien ailleurs, cela ne marche jamais. La première chose est de définir qui je suis, ce que je fais, ce que je veux. Pour cela, il faut repartir du terrain. »
Une bonne inscription dans le local passe aussi par la participation de la société civile. Dans le cas des tiers-lieux, la participation des acteurs locaux apparaît comme « un indispensable pour que le projet fonctionne », explique Fanny Bannet. « Chaque territoire a ses enjeux spécifiques, mais c’est dans l’essence même du tiers-lieu d’avoir un ancrage local, avec des modalités de gouvernances diverses. Dans tous les cas, l’appropriation par les locaux est fondamentale afin de rencontrer les personnes intéressées et s’ouvrir à un public plus large. »
Attention néanmoins à ne pas tomber dans l’excès inverse. « Il faut se méfier de ne travailler qu’avec des locaux. Quand un projet ne se fait qu’avec ceux qui sont déjà sur le territoire, ce n’est pas une bonne réponse », prévient-elle. « Notre vision de l’identité, c’est ce qui rapproche, jamais ce qui referme. » Partir du local, mais aussi de ce qui existe déjà : dans le cas des tiers-lieux, les friches immobilières permettent de démarrer dans des délais courts, tout en gardant la maîtrise du budget.
Les savoir-faire sont souvent déjà sur place. « Quand on est une Entreprise du patrimoine vivant (EPV), on est lié à un terroir, à un savoir-faire régional », observe Luc Lesénécal. « On compte 1 371 EPV en France, dont une soixantaine en Auvergne. » Travail du métal de la coutellerie de Thiers, restauration du patrimoine bâti, dentelle du Puy et bien d’autres « illustrent que ce tissu économique est un tissu bel et bien local ».
« Une région comme l’Auvergne a tous les atouts pour inciter les jeunes à se former et garder ces savoir-faire localement. » Pour ce faire, le président de l’Inma rappelle l’importance de mettre en place des dispositifs pragmatiques permettant la transmission aux jeunes : mise en relation avec les entreprises, aide au logement, etc.
Des expériences reproductibles
Dans les trois cas, les solutions apportées prennent la forme de dispositifs légers, adaptables et évolutifs. Pas de modèle idéal, ni de recette unique : il faut donc adopter une posture plus agile et partenariale, tester, réajuster et surtout, accepter l’erreur pour faire infléchir les projets dans le bon sens. Exit donc, par exemple, le systématique tiers-lieu avec « pétanque, cabaret et potager » au profit de dispositifs évoluant aussi avec leur temps.
Ces dispositifs plastiques seraient donc en pratique reproductibles à l’échelle de différents territoires. « L’un des objectifs de l’Étonnant Festin est de devenir quelque chose de reproductible ailleurs », explique Éric Roux. « Mon conseil : ne pas croire que l’on sait déjà, mener le travail de recherche indispensable de ce qu’est l’alimentation dans son territoire, de manière ouverte, sans imaginer un folklore. »
Dans la cuisine comme dans les métiers d’art, la question de la transmission est centrale. « Il ne faut pas oublier que tradition veut dire transmission. Cela bouge, c’est dynamique : il y a de la perte et il y a du gain. Penser que la tradition s’est figée, c’est une erreur d’interprétation du terme », rappelle Pascal Ory.
Les dispositifs à destination des jeunes apprentis des métiers d’art sont au cœur de la politique de transmission de ces métiers. « À la découverte des métiers d’art » pour les collégiens, le prix Avenir pour les jeunes en études et le dispositif « Maître d’Art-Élèves », permettant à un jeune de se former auprès d’un maître d’art, sont autant d’exemples « de dispositifs nationaux, mais à voir en délocalisation », avance Luc Lesénécal. « De même, il y a eu une décentralisation du label “ Entreprise du patrimoine vivant ”, désormais décerné par les préfets de région. »
Si dans les métiers d’art, la puissance publique reste un soutien majeur, se pose la question du rapport à l’administration centrale. « L’émergence de projets culturels a changé depuis l’époque des grands équipements portés par la puissance publique », souligne Fanny Bannet. Celle-ci observe, en se fondant sur le rapport « France-Tiers-lieux », que sur les 675 tiers-lieux ayant une activité principalement culturelle, « la majorité est en dehors du cadre des politiques publiques. Néanmoins, la puissance publique doit s’intégrer. Il y a une complémentarité avec la société civile », notamment pour soutenir le démarrage et la pérennisation du projet.
Sur le thème « Éducation artistique et culturelle, et enseignement artistique », elle est à suivre gratuitement en ligne ou sur place à Moulins, sur le campus de l’Université Clermont Auvergne. Réservation obligatoire.
Inscription et informations sur
clermontferrandmassifcentral2028.eu
Publi-information réalisée en partenariat avec l’association Clermont-Ferrand Massif Central 2028 et la Ville de Clermont-Ferrand