Il y a une quinzaine d’années, une exposition sur l’archéologie du XVIIe siècle aurait tout simplement été inconcevable. Grâce aux fouilles réalisées dans la cour Napoléon au Louvre, entre 1983 et 1986, l’approche archéologique de cette période a enregistré des progrès considérables. D’autant plus que les données de la fouille peuvent être rapprochées des archives, abondantes, sur la topographie du quartier du Louvre (plans parcellaires, devis, marchés, inventaires...), mais aussi des sources iconographiques (tableaux, estampes...). Ancien directeur des Antiquités historiques d’Île-de-France, Yves de Kisch a dirigé le chantier de la cour Napoléon avec Pierre-Jean Trombetta.
Il nous commente les résultats de ces investigations, présentés dans l’exposition « Le quartier du Louvre au XVIIe siècle ».
Comment a été programmée l’intervention, qui reste l’une des plus lourdes opérations d’archéologie jamais ouvertes en milieu urbain ?
Les premières investigations ont consisté à dépouiller des archives, à étudier des plans… Lorsqu’on regarde un plan de 1530, on voit tout un quartier, avec des rues, des axes nord-sud, qui joignent la berge à ce qui sera la rue Saint-Honoré. C’est un quartier organisé qui vivra longtemps – Balzac le décrit encore dans La Cousine Bette, qui loge dans la future cour Napoléon. Cet ensemble a une vocation un peu particulière puisqu’il est au contact du pouvoir, du palais des rois de France. Cela influe nécessairement sur la nature de ce qu’on va trouver, sur la densité, la diversité des types d’occupation.
Comment se développe le quartier au XVIIe siècle ?
Il est occupé à la fois par des personnels rattachés à la maison royale, qui sont des personnages anoblis par leur charge, et par une série de commerces liés à cette présence. En s’éloignant vers l’ouest, le parcellaire est moins contraignant, et de grandes familles de la noblesse vont occuper des hôtels particuliers plus importants. À partir du moment où le centre du pouvoir royal se déplace à Versailles, une nouvelle configuration se dessine, on observe une perte de qualité, les commerces sont plus modestes, et les éléments de la vie quotidienne plus simples. Des habitats de pauvres aux maisons de prostitution, le quartier va connaître une dégradation progressive. Quand est réaffirmé le “Grand Dessein” de réunir le Louvre aux Tuileries, il n’est pas possible de tout racheter d’un coup, mais il est interdit de reconstruire, de réparer, et cette lente évolution mène à l’état dégradé décrit par Balzac.
Le XVIIe siècle est une période charnière, d’essor urbain, mais nous n’avons pris qu’une partie du quartier : celle dont les ensembles clos mais aussi l’architecture nous apportait le plus d’éléments nouveaux, en regard du fonds d’archives étudié. Pour les maisons jumelles [construites par un écuyer du roi pour ses deux fils], nous n’avions aucune donnée archéologique stricte sur des constructions de ce genre et, en rapprochant les archives des résultats de la fouille, la connaissance de l’utilisation de ces lieux s’affine énormément.
Quels ont été les apports de la recherche archéologique vis-à-vis de ce que l’on savait sur la population, l’activité, l’évolution urbanistique ?
Il y a eu deux axes de recherche majeurs : d’une part, l’étude de la topographie urbaine prise dans son contenu, d’autre part, l’étude des productions, des consommations, des échanges. À côté des céramiques, verreries, etc., l’accent a été mis assez tôt sur l’étude du paléo-environnement (ichtyologie, sédimentologie, parasitologie...). L’archéologie urbaine est abordée avec toute une panoplie de méthodes qui, jusque-là, étaient plutôt l’apanage des préhistoriens, alors que l’étude urbaine tire un bénéfice énorme de l’analyse du paléo-environnement. En étudiant par exemple un ensemble de restes alimentaires dans ce quartier et leur évolution, au fil des siècles, on peut déterminer ce que les habitants mangeaient. Les ensembles clos, comme les puits comblés et les latrines, sont particulièrement riches de ce point de vue. On s’est beaucoup moqué de nous en disant qu’on oubliait de fouiller les monuments et les parties bâties et qu’on recherchait essentiellement les pattes de poulet dans les latrines !
Que montre l’exposition ?
Elle présente une série de “flashs” sur des objets remarquables ou de la céramique courante qui permettent d’approcher le quotidien des gens du XVIIe siècle. Par exemple, un ensemble en faïence de Nevers retrouvé dans les fosses d’aisances de la cour Napoléon... Que représentaient ces objets en termes de luxe ou d’usage éventuel ? On se tourne alors vers l’iconographie, les tableaux de l’époque, puis vers les inventaires après décès, en recherchant des descriptions analogues. Dans un ou deux d’entre eux, on a l’impression de voir le service en question. Il s’agissait d’objets décoratifs, et les lots étaient de même volume. C’est une composante de la vie d’un groupe humain : comment a-t-il travaillé, produit, vécu ? Avec quoi, quels objets ?
L’exposition intervient près de quinze ans après la fin des opérations...
Cette opération a été importante en termes de diffusion, auprès des scolaires et du grand public, mais aussi en termes de publication. C’est l’occasion de revenir sur quelques critiques formulées, de manière un peu rapide, sur l’absence d’écrits publiés. J’ai fait le compte : autour de ce chantier, une centaine de textes a paru. Le quantitatif sorti de ce chantier est tel qu’il y a matière à publication pendant des années, même en mettant des moyens importants en post-fouille. Le temps d’étude est beaucoup plus long que le temps de fouille. Ce genre d’expositions thématiques avec des éclairages forts n’ont de sens que renouvelées périodiquement. Trois autres au moins sont nécessaires pour aborder le sujet et relancer la mécanique qui aboutira finalement à une synthèse sur l’histoire urbaine et suburbaine du quartier. C’est un nouveau point de départ.
- LE QUARTIER DU LOUVRE AU XVIIe SIÈCLE, jusqu’au 31 décembre, Musée du Louvre, aile Sully, 75001 Paris, tél. 01 40 20 51 51, tlj sauf mardi 9h-17h45, lundi et mercredi 9h-21h45. Catalogue, RMN, 206 p., 180 F.
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Vie de quartier
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Abonnez-vous dès 1 €Les artistes ont très tôt été invités par le roi à s’installer au Louvre et dans le quartier. Le célèbre ébéniste André Charles Boulle (1642-1732) était de ceux-là. Après avoir logé à l’étage inférieur de la Grande Galerie, il installe son atelier dans l’une des habitations élevées à la place de l’hôtel du Petit Beringhen et des maisons jumelles. Dans la nuit du 30 août 1720, l’atelier, qui comprenait notamment une fonderie, est ravagé par un incendie. Partent alors en fumée toutes les collections de Boulle : dessins, gravures, objets, modèles de bronze et de marqueterie, meubles achevés ou en voie de l’être. La fouille a mis au jour des témoignages de l’activité de l’artiste (maquettes en terre cuite, fragments de bronze...), ainsi que des statuettes provenant de sa collection (cf. ill. de gauche, p. 21) Quelques-uns de ces objets sont présentés dans l’exposition.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°124 du 30 mars 2001, avec le titre suivant : Vie de quartier