L’institut néerlandais crée l’événement autour de la restauration du retable de Marchiennes de Jan Van Scorel, maître de la Renaissance hollandaise.
PARIS, DOUAI - « Un miracle ». Le mot s’entendait à l’Institut néerlandais, à Paris, quand fut dévoilé, après quatre années passées dans les ateliers versaillais du C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France), le Retable de saint Jacques et saint Étienne peint vers 1540 par Jan Van Scorel. Offert au regard du public parisien avant de rejoindre le Musée de la Chartreuse de Douai (Nord), le polyptyque ressuscite après plusieurs siècles de mutilations au cours desquels ses sept panneaux furent démantelés, divisés dans leur épaisseur, dispersés à la Révolution, amputés par les bombardements, avant que des parties soient sciés pour fabriquer des étagères dans la sacristie. « Dans son malheur, il a eu trois chances », relate Françoise Baligand, conservatrice honoraire au Musée de la Chartreuse. Il échappa d’abord à l’iconoclasme, qui causa la disparition d’une grande partie de l’œuvre du maître hollandais de la Renaissance. L’histoire a ensuite mis sur son chemin Jean-Jacques Guillouet, conservateur du Musée de la Chartreuse de 1952 à 1980, qui a mené une véritable enquête pour rassembler les morceaux du Retable de saint Jacques et saint Etienne dont l’inventaire de Karel Van Mander (Schilder-boeck) signalait l’existence en 1604 dans l’abbaye de Marchiennes en Artois.
De 1957 à 1959, cinq volets ont refait surface et sitôt rejoint les collections du musée où ils ont bénéficié d’un premier programme de restauration, en 1964. Mais la pièce maîtresse du retable manquait toujours à l’appel, quand, un jour de 1973, la Lapidation de saint Étienne a été identifiée dans l’église de Hornaing (Nord), qui avait reçu le tableau de l’abbaye de Marchiennes au XVIIIe siècle. Presque intact, le panneau central, qui a désormais retrouvé toute sa fraîcheur, constituerait une pièce de référence pour apprécier et comprendre l’art de Scorel.
Grâce à des liens d’amitié
Toutes ces péripéties au cours desquelles le sort d’un ensemble majeur du patrimoine européen s’est joué à coup de dé, Jean-Jacques Goron, délégué général adjoint de la Fondation BNP Paribas, les connaissait bien – l’organisme avait déjà apporté son soutien au Musée de Douai lors de la publication d’un catalogue sur les collections permanentes en 1999. Finalement, le retable de Marchiennes doit moins son salut à un coup de chance qu’à un coup de pouce, le dossier constitué par Françoise Baligand ayant certainement bénéficié du lien d’amitié entre Jean-Jacques Goron et la conservatrice. Sans l’apport de BNP Paribas pour compléter les fonds débloqués par la municipalité et la Région Nord – Pas-de-Calais, le seul témoignage de la peinture monumentale du maître hollandais continuerait de se dégrader silencieusement sous sa couche de vernis jaune.
L’événement créé autour de cette restauration permet de mettre en lumière l’engagement d’hommes et de femmes en faveur de la sauvegarde du patrimoine. Ce discours trouve un écho particulier quand il concerne l’œuvre d’un peintre qui s’est vu confier la collection du Belvédère au Vatican (de 1522 à 1524) par le pape Adrien VI. C’est en exerçant ses fonctions de « conservateur » que Scorel s’imprègne de l’art antique et de celui des maîtres de la Renaissance italienne, Raphaël, Michel-Ange. De retour aux Pays-Bas, il enseigne le nouveau style dans un atelier qui prend bientôt l’envergure d’une entreprise et répond à de nombreuses commandes prestigieuses.
Couleurs acidulées
En dessous de chaque panneau qui compose aujourd’hui les trois polyptyques désolidarisés, des écrans renseignent sur les étapes de la restauration. Ils témoignent d’une même ambition à convaincre le public des choix qui déterminent l’état visible d’un tableau : « une proposition », souligne Isabelle Leegenhoek, qui a dirigé le chantier de restauration. Les couches picturales, ses repeints, ses grattages, constituent le palimpseste du tableau, parfois victime d’une mauvaise compréhension comme lorsque fut retirée la couleur autour des statues de saint Jacques et de saint Étienne, les considérant à tort comme des grisailles. L’état de détérioration des panneaux qui refermaient le retable n’aurait pas permis aux restaurateurs d’appliquer le parti pris « illusionniste » sans risquer des reconstitutions arbitraires. Contrairement aux autres scènes qui envoûtent le regard par leurs couleurs acidulées et leurs compositions sophistiquées, les deux saints ont volontairement gardé les marques de leur histoire mouvementée.
Jusqu’au 22 mai, Institut néerlandais, 121, rue de Lille, 75007 Paris, tél. 01 53 59 12 40, du mardi au dimanche 13h-19h. Catalogue, éd. Fondation Custodia, 127 p., 30 euros, ISBN 978-90-78655-16-9.
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Van Scorel miraculé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°345 du 15 avril 2011, avec le titre suivant : Van Scorel miraculé