ABOU DHABI / ÉMIRATS ARABES UNIS
Un travail sophistiqué sur la variation de la lumière caractérise l’« architecture arabe d’ aujourd’hui » du Louvre-Abou Dhabi. Visite des lieux avec son auteur, Jean Nouvel, lauréat du prix Pritzker 2008.
Abou Dhabi. Impossible de la rater. Lorsqu’on arrive, en voiture, par le pont Sheikh-Khalifa, au nord-est de la ville, on aperçoit d’emblée cette immense coupole subtilement comprimée. Ses dimensions sont monumentales, avec son diamètre de 180 mètres et son poids de 7500 tonnes, soit peu ou prou celui de la charpente métallique de la tour Eiffel. Ce dôme colossal n’est autre que l’élément emblématique du nouveau musée du Louvre-Abou Dhabi imaginé par Jean Nouvel. Il résume à lui seul l’inclination du maître d’œuvre français pour l’architecture traditionnelle arabe, dont est ici donnée une époustouflante relecture. « Je connais bien l’architecture arabe, souligne Jean Nouvel. L’un des premiers bâtiments qui m’a fait connaître est l’Institut du monde arabe, à Paris [desssiné par l’architecte français et inauguré en 1987, NDLR]. Elle est basée sur deux notions que j’apprécie particulièrement : la lumière et la géométrie. »
Juché à la pointe ouest de l’île de Saadiyat, l’édifice est, en réalité, composé de deux parties majeures ; sous la coupole se déploie toute une série de « cubes » blancs de différentes dimensions que le visiteur découvre au fur et à mesure qu’il s’en approche. Celui-ci devant néanmoins se plier à la règle sécuritaire en vigueur, en l’occurrence un passage sous un portique à rayon X, l’entrée du musée s’en trouve un brin alambiquée. Ce qui n’est pas sans déplaire à Jean Nouvel, lequel a, par la suite, conçu à dessein un parcours muséal façon dédale : « Je ne voulais pas créer une “avenue” toute droite, mais au contraire une déambulation qui soit une suite de découvertes, à l’instar de la ville traditionnelle arabe. Si l’on découvre tout du premier coup, on se lasse vite. » Ce ne sera effectivement pas le cas.
Sont en tout déployés 55 bâtiments de béton blanc (surface totale : 97 000 m2), dont 23 salles d’exposition (8 600 m2), bâtiments qui font ressembler le lieu à une cité : « Ce musée est une micro-ville, dit Nouvel. Il y a un jeu avec l’échelle de ces cubes blancs qui sont évidemment beaucoup plus grands que les maisons de la médina. Chaque volume correspond à une salle ou à une fonction. » Les édifices sont reliés entre eux par des passages qui offrent des vues découpées sur l’extérieur, parfois au travers de « moucharabiehs » métalliques.
D’emblée, l’espace a été scénographié à souhait. Ainsi apparaît cette « faille » dans un plafond, peu après la billetterie, par laquelle on distingue en arrivant un fragment de l’intrigante coupole. Il faudra néanmoins attendre d’avoir franchi la porte située à l’extrémité de la première grande salle d’exposition pour se retrouver sous ce tour de force que représente le dôme. Une prouesse ! Celui-ci est suspendu, comme en lévitation, à 29 mètres au-dessus du sol, reposant sur quatre uniques piliers minutieusement cachés à l’intérieur des bâtiments, ce que Nouvel appelle : « l’esthétique du miracle ». « Il faut toujours garder une part de mystère », assure l’architecte.
Ainsi, la coupole est constituée de huit strates de métal – inox, fer ou aluminium, c’est selon – d’une épaisseur totale de 7 mètres. Chacune de ces couches, ajourée de motifs en forme d’étoile, est décalée l’une par rapport à l’autre. Objectif : « une pluie de lumière » que le soleil distille à travers le dôme. « La “pluie de lumière” est d’abord un souvenir, raconte Nouvel. Celui de se retrouver sous un palmier avec le soleil qui traverse les feuilles et dessine, au sol, des quantités de points lumineux. » Ici, « ce dôme est une ombrelle sur une petite ville et les rais de lumière qui passent au travers vont générer au sol et sur les murs une multitude de taches de lumière, poursuit l’architecte. Le soleil est un immense projecteur et il tourne autour de ce réceptacle qu’est la coupole. À un instant T, un rai de lumière sera bloqué par l’une des couches, puis l’instant suivant il la traversera. Si l’on reste, ne serait-ce que deux ou trois minutes, on verra lesdites taches se réduire ou s’agrandir, apparaître ou disparaître. En outre, elles changeront perpétuellement en fonction de l’heure ou de la saison. Ce principe de variation de la lumière naturelle crée une cinétique que l’on a appelée “pluie de lumière”. » L’effet est tout simplement bluffant. Dans une région où la chaleur sait être implacable, ce système de « couverture » permettrait de faire descendre la température de 3 à 4 degrés Celsius par rapport à celle enregistrée au soleil, ce qui, ajouté à la brise marine, n’est pas négligeable. « Je ne voulais pas d’un musée qui soit un bâtiment complètement hermétique comme un coffre-fort, observe Nouvel, mais qu’il soit plus ouvert et agréable à vivre, avec une zone extérieure dans laquelle les gens puissent se balader de manière confortable et ce malgré les contraintes climatiques. Ainsi, le musée deviendra comme un espace extérieur de la ville. »
À l’intérieur, les salles de l’exposition permanente ont été dessinées au cordeau pour accueillir quelque 600 pièces. Selon que sont exposées des peintures ou des sculptures, les sols changent de texture : marbre, pierre du Hainaut… Certaines galeries bénéficient d’un éclairage zénithal à travers un système sophistiqué qui mêle une vingtaine de types de verre différents dont la superposition produit des effets de moirage. Faites d’une fine structure en bronze, les vastes vitrines présentent les œuvres au mieux. « Le travail pointu sur l’ombre et la lumière est probablement la caractéristique la plus nette de ce musée », estime Jean Nouvel. Ce projet que livre l’architecte français est, en tout cas, l’un de ses plus aboutis, mariant de façon séduisante deux archétypes du vocabulaire architectural arabe : la coupole et la médina. « Je suis un “architecte contextuel”, fait remarquer le maître d’œuvre. En ce sens, ma première volonté était que ce musée s’inscrive dans la culture, l’histoire et la géographie de ce pays, qu’il ne puisse être transplanté à Paris ou à New York, mais qu’il soit précisément pensé pour ce site. Je voulais créer une architecture arabe d’aujourd’hui. »
Dans les eaux du golfe Persique, quelques-uns des 4 500 pieux qui soutiennent l’édifice affleurent à la surface de l’eau, telle une archéologie en devenir.
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Une « pluie de lumière » au royaume des sables
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Une « pluie de lumière » au royaume des sables