Église

PATRIMOINE RELIGIEUX

Une nouvelle châsse-reliquaire à notre-Dame

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2025 - 1017 mots

La châsse-reliquaire de Sylvain Dubuisson affirme sa monumentalité au service de la vénération des reliques, loin de la tradition de Viollet-le-Duc.

Paris. Sauvées in extremis de l’incendie en avril 2019, les reliques de Notre-Dame étaient depuis lors hébergées à Saint-Germain-l’Auxerrois, en attente d’une nouvelle châsse-reliquaire. La précédente, qui datait de 2008 et était de taille modeste, avait été brisée par les pompiers lors de l’incendie. Outre la couronne d’épines de la Passion dans son anneau de cristal orné, Notre-Dame possède aussi un clou et un morceau du bois supposés de la Croix, objets de vénération par les fidèles catholiques et chrétiens. Laurent Prades, régisseur général de la cathédrale, précise que le Vatican n’authentifie pas les reliques, mais qu’il existe « une chaîne de transmission et d’authentification pour la couronne depuis le IVe siècle ». Cette enquête a été réalisée en 1806 lorsque la couronne quitte la Sainte-Chapelle pour entrer à Notre-Dame : Saint Louis (Louis IX) l’avait rapportée de Constantinople en 1239. Parmi les anciennes châsses-reliquaires, la plus connue est celle dessinée par Viollet-Le-Duc en 1862, ornée au sommet d’une couronne à fleurs de lys, le tout dans un style néo-médiéval.

Au début des années 2000, le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, confie au designer Sylvain Dubuisson la commande d’une nouvelle châsse-reliquaire (voir ill.). Le projet a un temps été abandonné, puis a retrouvé son actualité après l’incendie, avec l’accord de Monseigneur Ulrich. Contrairement au mobilier liturgique, cette commande n’a pas fait l’objet d’un concours. Pour la réaliser, Sylvain Dubuisson a choisi les Ateliers Saint-Jacques et la fonderie de Coubertin (Saint-Rémy-lès-Chevreuse), en raison d’un compagnonnage de longue date avec les artisans. Mesurant 3,5 mètres de haut pour un poids de trois tonnes, l’ouvrage est monumental et a nécessité une coopération de tous les corps de métiers des Ateliers Saint-Jacques : selon Pascal Remy, directeur de la métallerie, « cet ouvrage allie des matériaux traditionnels, avec des finitions à la main, et des techniques de production contemporaines ». Car le reliquaire en forme d’iconostase byzantine cache une structure métallique derrière un grand cercle orné de cabochons, et une base en marbre. La nouvelle châsse-reliquaire rompt avec la tradition : loin du figuratif, la châsse présente une série de symboles, même si Sylvain Dubuisson n’y voit pas d’ « abstraction ». Ainsi dans les matériaux qui la composent, le bois de cèdre du retable ajouré fait-il référence à la Croix, et le marbre de Carrare évoque-t-il « un tombeau et un autel ». Quant à l’or, présent sur les épines incrustées dans le retable et à la base des cabochons, il est utilisé comme « lumière » selon Sylvain Dubuisson, plutôt que comme matériau structurant. Outre les épines, l’ouvrage arbore comme symbole des croix en argent incluses dans les cabochons, qui rappellent la croix gravée sur le marbre et celle du volet qui ferme le réceptacle de la couronne. Le soir du vendredi 13 décembre, la couronne a pris place dans la demi-sphère bleue (en écho au plafond de la chapelle) où elle ne sera visible qu’à certaines occasions.

Des avis partagés

Décrite comme « monumentale » par le recteur de la cathédrale, la châsse-reliquaire suscite des réactions contrastées, en particulier dans les milieux catholiques conservateurs. Jugée trop luxueuse ou trop moderne, elle impose surtout sa présence dans l’espace. Si le parcours dans Notre-Dame a été modifié pour mettre en valeur les chapelles, la chapelle axiale où elle se tient est en partie obstruée par l’ouvrage, ce qui suscite quelques critiques. Sylvain Dubuisson reconnaît qu’au premier abord la châsse semble « incongrue », posée au milieu de cette chapelle aux décors polychromes, mais il espère que l’ouvrage s’imposera au fil du temps (ndlr : l’ouvrage est autoportant et ne s’appuie sur aucun mur). Les chevaliers de l’Ordre du Saint Sépulcre, chargés de veiller sur les reliques de la Passion depuis le début du XXe siècle, la jugent « majestueuse » d’après des témoignages recueillis le 13 décembre, mais ne se prononcent pas sur son esthétique.

Cette châsse-reliquaire à l’identité affirmée participe d’une certaine exceptionnalité, que ce soit par ses dimensions ou par ses matériaux : dorures à la feuille d’or, marbre venu de la carrière Campanili en Italie, cabochons de verre moulés à la main. Cette exceptionnalité est revendiquée dès qu’il s’agit de Notre-Dame selon Gaspard Salatko (Laboratoire de recherche Héritages), qui note que les récits autour du chantier de restauration insistent sur l’ « exceptionnel ». Pour autant, il existe des châsses-reliquaires monumentales dans d’autres églises catholiques, et Laurent Prades cite celle de la basilique Saint-Pierre à Rome, qui est « spectaculaire » selon lui. La châsse-reliquaire de Sylvain Dubuisson s’inscrit donc malgré tout dans une longue tradition catholique, où la« préciosité » des matériaux selon Laurent Prades sert la méditation des fidèles : ceux-ci pourront en outre toucher la châsse-reliquaire lors des vénérations, comme le veut la tradition catholique. Et le bleu vibrant de la demi-sphère où trône la couronne est du bleu Klein, « nuance IKB » selon Sylvain Dubuisson, ce qui rattache définitivement la châsse-reliquaire à l’époque contemporaine.

Une inauguration alternant le chaud et froid  

Paris. Le temps a quelque peu perturbé l’organisation de la cérémonie d’inauguration de la cathédrale le 7 décembre dernier, obligeant le « temps républicain » (essentiellement le discours d’Emmanuel Macron) à se tenir dans la cathédrale au lieu du parvis. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et les sauveteurs et restaurateurs de la cathédrale ont été très applaudis, partageant la vedette avec Donald Trump, pourtant pas encore entré à la Maison-Blanche. Les conditions de sécurité et les moyens techniques pour la retransmission télévisée n’ont pas favorisé la ferveur religieuse et l’émotion laïque. Est-ce pour cela que le pape François a préféré aller en Corse ? Débarrassés de ces dispositifs encombrants, les différents offices qui se sont succédé au cours de « l’octave » ont redonné un peu de chaleur humaine à la séquence d’inauguration. Les horaires de visite ont repris leur cours d’avant incendie à partir du 16 décembre, mais il faut s’armer de patience pour entrer dans la cathédrale, que ce soit en réservant sa visite sur Internet ou dans la file d’attente à l’extérieur. Les visiteurs vont aussi se rendre compte qu’il existe encore beaucoup d’échafaudages, et pour longtemps, autour de la cathédrale.

 

Jean-Christophe Castelain

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Une nouvelle châsse-reliquaire à notre-Dame

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