Les trois maisons traditionnelles au bord d’un canal, qui accueillent le Musée Jim-Thompson, pourraient bien être le dernier bastion de la culture traditionnelle à Bangkok. Quelques mois à peine après l’ouverture d’une nouvelle aile, le gouvernement thaïlandais prévoit en effet la construction d’une voie rapide au-dessus du site qui menace l’édifice.
BANGKOK (de notre correspondant) - Le musée a été légué par feu Jim Thompson, expatrié américain installé en Thaïlande après la Deuxième Guerre mondiale et qui a ressuscité le travail de la soie dans le pays. Trois maisons traditionnelles thaïes abritent la collection d’antiquités thaïlandaises, birmanes et khmères de Jim Thompson. “La direction des autoroutes et des voies rapides (ETA) ne nous oblige pas à partir, explique Eric Bunnag Booth, de la Fondation James H.W. Thompson, responsable de la gestion du musée, mais la voie rapide passera au-dessus du musée, et ils veulent construire une colonne de huit mètres de diamètre à trente mètres de profondeur au milieu de notre terrasse. Sans parler de la pollution, les vibrations à elles seules provoqueront l’écroulement du bâtiment.”
La décision de l’ETA a été prise il y a presque dix ans, lorsque Chatchai Choonhaven était Premier ministre. Pourtant, rien n’avait été entrepris jusqu’en février dernier, lorsqu’on a annoncé que la construction débuterait en octobre. Parmi les terres traversées par la voie rapide figure le village musulman de Ban Khrua, vieux de deux cent cinquante ans et patrie des tisseurs de soie de Jim Thompson. “Même leur cimetière sera profané”, ajoute Eric Bunnag Booth.
En juillet, le ministre de l’Intérieur Sonthaya Khunpluem, dont dépend l’ETA, a été accusé lors d’une séance au Parlement d’avoir accepté un pot-de-vin de 500 millions de bahts (environ 88 millions de francs) pour approuver la construction d’une autre route de 4,7 km ; celle-ci devait relier la première partie de la voie rapide à la route à péage de Bang Na-Chonburi (le père de Sonthaya Khunpluem est un homme d’influence à Chonburi). Et, comble de l’ironie, les agissements de l’ETA coïncident avec ce que l’on pourrait appeler la renaissance de Jim Thompson. En avril dernier, la Fondation a inauguré la nouvelle aile du musée, afin de pouvoir accueillir les visiteurs toujours plus nombreux – plus de 110 000 entrées l’année dernière. Cette augmentation rapide du nombre de visiteurs a re-motivé ce centre culturel, l’un des rares de Bangkok.
L’histoire de Jim Thompson commence à la fin de la guerre, lorsque ce dilettante de trente-neuf ans, issu de la petite bourgeoisie américaine, arrive à Bangkok, employé par le bureau des services stratégiques. Il tombe amoureux de la Thaïlande et relance le travail de la soie dans le pays. Par ailleurs, il reçoit souvent des personnalités, tel Robert Kennedy, et devient ainsi, lui aussi, une sorte de célébrité.
Après son décès mystérieux en 1967, sa société, la Jim Thompson Thai Silk, poursuit son activité et, en 1976, une fondation est créée sous égide royale pour gérer ses biens. Le musée originel était constitué de plusieurs maisons thaïlandaises interdépendantes, qui accueillaient la collection éclectique d’antiquités ainsi que les œuvres d’art ayant appartenu à Jim Thompson. L’aspect sobre mais digne du bâtiment signe son succès auprès des visiteurs qui voient en lui le témoignage d’un style de vie passé (et peu importe que sa décoration, bien que constituée en partie de meubles asiatiques, soit essentiellement de style occidental).
Le musée devenait trop petit pour accueillir le nombre croissant de visiteurs et les rabatteurs à touristes commençaient à s’agglutiner en masse devant les portes du bâtiment. Pour cette raison, lorsque qu’une parcelle de terrain, jouxtant le musée, a été mise en vente l’année dernière, la Fondation a saisi l’occasion. “À l’époque, raconte Eric Bunnag Booth, nous voulions juste protéger l’entrée, au cas où les nouveaux propriétaires abuseraient de leur position.”
La nouvelle Jim Thompson House, agrandie et rénovée, comprend de nouveaux bâtiments construits conformément à la tradition par des artisans, une boutique plus spacieuse, un café en terrasse, un bar chic en étage et des salles de réception. L’espace supplémentaire permet à la Fondation d’utiliser davantage de pièces de la vieille maison pour la conservation de la collection. Par ailleurs, les nouveaux bâtiments entourent le jardin, qui autrefois faisait face à un parking, accentuant l’impression de sérénité. Cet espace accueille les représentations de hun lakhon lek, un genre de théâtre de marionnettes pratiquement disparu. “Il ne reste plus qu’une seule famille de marionnettistes, explique Eric Bunnag Booth. Nous organisons des représentations pendant l’hiver, dans le cadre de nos réceptions.” Henry Kissinger était l’un des premiers spectateurs.
L’éventualité de finir sous un autopont assombrit les esprits. Eric Bunnag Booth espère que le public parviendra à faire suffisamment pression sur le gouvernement pour qu’il modifie ses projets et revienne sur sa décision ; il s’agit de sauver un lieu qui n’est pas uniquement culturel, mais représente aussi un atout touristique. “Je compatis à la situation critique des travailleurs qui passent des heures coincés dans les embouteillages, mais je ne suis pas convaincu que cette voie rapide pourra les aider. Regardez comme les routes à péage sont peu fréquentées.”
Pourtant, le vent semble tourner en faveur de la Fondation puisqu’une commission parlementaire a été mandatée pour étudier le dossier. Le président de l’ETA a démissionné et, avec les élections prévues dans quelques mois, les membres du cabinet veulent éviter les questions qui pourraient alimenter la controverse.
- Jim Thompson House, Rama I Road Soi Kasemsan 2, près du National Stadium. Tlj 9h-17h, entrée : 100 bahts, www.jimthompsonhouse.com
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une autoroute au-dessus du Musée Jim-Thompson ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°113 du 20 octobre 2000, avec le titre suivant : Une autoroute au-dessus du Musée Jim-Thompson ?