Cynisme ou décision raisonnable, Taliban afghans et opposants au régime islamique ont choisi d’exiler leur patrimoine culturel commun en Suisse, afin de le protéger des affrontements. Bénéficiant du soutien d’organismes internationaux, ce musée devrait ouvrir ses portes en mars 2000 dans le village de Bubendorf.
BUBENDORF (SUISSE) - Après l’invasion soviétique de 1979, puis la guerre civile et la prise de Kaboul par les Moudjahidin en 1992, rien ni personne n’a pu empêcher la destruction du patrimoine culturel afghan : le musée de la capitale et les sites archéologiques ont été pillés à plusieurs reprises, et un grand nombre d’objets d’art a été exporté illicitement, souvent via le Pakistan, pour être ensuite écoulés sur le marché international. La conclusion douloureuse que ces biens seraient mieux protégés à l’étranger a fini par s’imposer, à la condition que soient clairement établis les termes prévoyant leur retour. Approuvée par les deux parties engagées dans le conflit, et soutenue par le gouvernement suisse, cette décision est sans précédent.
Estimé à deux millions de francs suisses (environ 8,5 millions de francs français), le projet a déjà bénéficié d’un financement de 600 000 francs suisses, grâce au Conseil fédéral de Bâle et au gouvernement helvétique, et devrait se concrétiser en mars par l’ouverture des sept premières salles d’un musée – sept autres suivront en 2001 – dans le village de Bubendorf, à 17 km au sud-est de Bâle.
Directeur de la Fondation Bibliotheca Afghanica, qui réunit une bibliothèque et un institut de recherche, Paul Bucherer-Dietschi coordonne la création du lieu. Il souligne que ni lui ni le gouvernement suisse ne sont à l’origine de cette action, mais que l’initiative est afghane. Le Pr. Burhanuddin Rabbani, président de l’Alliance du Nord, est venu discuter du projet en novembre, suivi un haut conseiller du mollah Omar, le chef religieux et politique des Taliban. Et en juillet, des représentants des deux parties se sont rendus à Bubendorf pour renouveler la promesse de leur soutien. “Nous ne cherchons pas à créer un grand musée, simplement un abri temporaire où les objets seront accessibles et en sécurité”, explique Paul Bucherer-Dietschi. Quelques pièces archéologiques – par exemple, des bronzes d’Airekhanum envoyés par des opposants aux Taliban – ont déjà été reçues, mais l’essentiel de la collection arrivera lorsque les indispensables dispositifs de sécurité et de stockage auront été installés. À terme, la Fondation devrait recevoir trois mille objets, parmi lesquels des pièces importantes de Gandhara et de Bactriane, provenant tant du nord que du sud du pays, où certaines collections sont enterrées par mesure de sécurité, que du Pakistan et d’Europe. Une douzaine de personnalités afghanes, collectionneurs privés et membres du gouvernement, ont par ailleurs promis d’envoyer des objets.
Un soutien international
Également à l’étude, la possibilité de rémunérer modestement des Afghans pour récupérer des biens ou encore le transfert dans le “Musée en exil” des pièces confisquées aux frontières par les douaniers. Soutenue par le Comité international de sauvegarde du patrimoine culturel de l’Afghanistan, qui opère à Pasadena, en Californie, et par la Société pour la préservation du patrimoine culturel afghan, basée à Peshawar, au Pakistan, l’entreprise a reçu l’appui de l’Unesco, qui la considère comme un projet pilote dans la protection de l’héritage culturel des pays en guerre. Souhaitons toutefois que l’expérience ne s’éternise pas et aboutisse rapidement au retour des pièces dans leur pays. Un dénouement heureux qui dépendra de la décision conjointe des gouvernements suisse et afghan.
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Un patrimoine en exil
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°91 du 22 octobre 1999, avec le titre suivant : Un patrimoine en exil