CHATOU
Inauguré fin septembre, le Musée d’art et de culture soufis de Chatou se positionne comme un site culturel tout en s’affirmant comme lieu de savoir sur cette spiritualité.
Chatou (Yvelines). Créer un lieu culturel autour du soufisme relève de la gageure dans le contexte politique actuel : le soufisme est la branche mystique de l’islam, le sujet est donc sensible. Il n’existe d’ailleurs pas de musée du soufisme pour servir de modèle, le Musée d’art et de culture soufis (voir. ill.) (MACS MTO, du nom de la lignée soufie Maktab Tarighat Oveyssi Shahmaghsoudi) est le premier au monde. Le projet porté par la MTO Shahmaghsoudi a pourtant été accueilli favorablement par la municipalité de Chatou : la directrice du MACS MTO, Alexandra Baudelot, affirme que le musée n’a rencontré « aucune opposition » au niveau local. Chatou compte plusieurs lieux culturels, notamment liés à l’impressionnisme, et le MACS MTO espère s’insérer dans cet écosystème avec une programmation axée sur les arts plastiques. Avec un budget annuel de fonctionnement d’un million d’euros, le musée a les moyens de concrétiser cette ambition. Si la MTO s’affiche comme principal soutien du musée, celui-ci ne donne aucun détail sur ses sources de financement.
Le musée revendique un équilibre entre histoire du soufisme en particulier iranien (pays d’origine de la lignée oveyssi du soufisme) et création contemporaine, au rythme de « deux expositions par an » selon la directrice. Les espaces d’exposition couvrent environ 600 mètres carrés sur trois niveaux d’un bel hôtel particulier en bord de Seine. L’œil des visiteurs note, dès l’entrée, le soin apporté à l’aménagement intérieur, avec restauration de détails décoratifs (moulures, serrures ouvragées) et ajouts spécifiques : plusieurs salles disposent de niches où sont exposés des objets de petit format (sculptures de Chloé Quenum), et une salle arbore un plafond en dôme de style iranien (gonbad). Ces détails contribuent à créer une ambiance dépaysante, renforcée par l’identité sonore. Certaines salles diffusent des musiques jouées sur des instruments utilisés dans les rites soufis (luth setâr et harpe) : Claire Sahar Bay, présidente du conseil d’administration, précise que ces installations sont des commandes, et qu’elles sont destinées à favoriser « la contemplation ». Les espaces du musée incitent le visiteur à entrer dans l’univers du soufisme par la vue et l’ouïe, en jouant sur « l’harmonie » selon Alexandra Baudelot, qui rappelle qu’il s’agit d’une valeur centrale dans la pratique soufie. La vue sur le jardin depuis les salles participe de cette harmonie générale qui mène vers la « sérénité ».
De fait, le parcours est fluide et l’équilibre entre objets historiques et œuvres contemporaines fonctionne. Les salles présentent une partie de la collection qui compte un peu plus de 300 objets liés aux cultures soufies : vêtements brodés, chapelets, cannes des maîtres soufis, nécessaires à calligraphie. L’exposition inaugurale « Un ciel intérieur » (voir ill.) s’intègre au parcours permanent par des échos thématiques (peintures de Pinaree Sanpitak) et symboliques (sculptures végétales de Bianca Bondi) : il n’y a pas de citation littérale d’éléments du soufisme. Alexandra Baudelot précise que les artistes exposés n’ont pas forcément de liens avec le soufisme, voire pas du tout : Troy Makaza (Zimbabwe) dit ainsi ne pas connaître le soufisme et s’être inspiré d’un « sanctuaire animiste » pour sa tapisserie en silicone qui cartographie un voyage spirituel. Seffa Klein précise de son côté que les couleurs et les particules de métal (bismuth) dans ses tableaux ont une symbolique d’ordre « cosmogonique » plus que spirituelle.
Pour autant le soufisme imprègne le parcours, car le MACS MTO prône la découverte des pratiques soufies actuelles : c’est une visée risquée. Un hologramme dans le parcours permanent reconstitue par exemple une leçon d’un maître soufi à ses élèves : certains visiteurs peuvent y voir du prosélytisme. Quant à la démonstration de derviches (sama), présentée à la presse lors de l’inauguration, s’agit-il d’une performance artistique ou d’une cérémonie ? Alexandra Baudelot précise que les participantes ne sont pas des danseuses mais des « pratiquantes soufies », donc cela se situe dans le registre spirituel pour les participantes, mais pas pour le public (la beauté sereine du sama n’est pas en cause ici). Le musée propose d’ailleurs aux visiteurs de découvrir le sama lors d’un concert à l’automne, ce qui peut brouiller le propos. De même pour une visite guidée sur « le mysticisme dans l’architecture soufie ». L’ambition du MACS MTO de faire de sa bibliothèque un centre de recherche montre enfin que l’identité soufie du lieu reste centrale au projet. Un ajustement de la ligne éditoriale sera sans doute nécessaire à moyen terme pour renforcer l’intérêt de ce lieu hors du commun et élargir son public.
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Un nouveau musée sur la culture soufie tout en nuances
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°640 du 4 octobre 2024, avec le titre suivant : Un nouveau musée sur la culture soufie tout en nuances