Mélange d’un mortier et de pierres concassées coulé autour d’une armature métallique, le béton armé est incontestablement le matériau du XXe siècle qui a rendu possible toutes les révolutions architecturales. Mais à mesure que ces ouvrages, aujourd’hui intégrés au domaine patrimonial, s’éloignent de nous, apparaissent de nouvelles problématiques liées à leur nécessaire restauration. Les quelques chantiers en cours ou achevés ont déjà permis d’esquisser une doctrine conservatoire inspirée de l’approche traditionnelle.
PARIS - Le Pavillon de l’Arsenal présente jusqu’à la fin mai une exposition consacrée au béton à Paris, qui met en valeur le rôle majeur de ce matériau dans la construction en Île-de-France. Elle souligne par ailleurs son importance nouvelle dans le domaine patrimonial. Ce qu’elle ne dit pas, en revanche, ce sont les problèmes de conservation nés de la juxtaposition de matériaux, à la fois force et faiblesse du béton armé. S’il est, pour reprendre l’expression de l’architecte Pier Luigi Nervi, “le matériau le plus révolutionnaire de toute l’histoire de la construction”, le béton connaît toutes les vicissitudes propres aux révolutions, avec ses expériences malheureuses et ses errements fatals. Bien des constructions ont fait les frais d’une technique mal maîtrisée ou encore en évolution, et se présentent aujourd’hui dans un triste état. Matériau jeune, le béton a fait son entrée dans le patrimoine protégé en 1957, avec le classement du Théâtre des Champs-Élysées d’Auguste Perret, bientôt suivi par d’autres œuvres exceptionnelles comme l’Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier, dont l’importance dans l’histoire de l’architecture n’est plus à démontrer. Par ailleurs, l’inventaire des Monuments historiques s’est enrichi ces dernières années de bâtiments “sans qualités”, comme un silo à céréales de 1910 à Strasbourg.
Si les bétons moulés du XIXe siècle (brevet Coignet) ont bien résisté, car ils ne possèdent pas d’armature, il n’en va pas toujours de même pour le béton armé. Celui-ci “n’est pas toujours employé comme matériau apparent, comme il peut l’être par exemple à l’église Notre-Dame de Royan (1958), note Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques. Il peut être couvert d’un enduit, d’une chape d’étanchéité en ciment pour les terrasses et les toitures, ou intégré dans une architecture classique”. Malgré ces protections, l’eau a pu pénétrer dans ce matériau à la fragilité insoupçonnée, et “restaurer, c’est d’abord traquer les sources d’eau”, remarque-t-il. Il a pu observer ces phénomènes lors de l’étude préalable à la restauration des Halles du Boulingrin à Reims (1927-1928), où le phénomène d’altération est lié à la circulation de l’eau dans le béton. Ce grand vaisseau couvert d’une voûte à profil parabolique d’une portée de 38 mètres avait été réalisé grâce à un procédé rapide de coffrage/décoffrage sur cintre glissant, mis au point par Eugène Freyssinet. Malheureusement, le vieillissement du bâtiment a quelque peu occulté aux yeux du public son intérêt à la fois technique et architectural, à tel point que seul un classement d’office en 1990 lui a permis d’échapper à une destruction promise. Mais aujourd’hui, la réutilisation constitue un préalable à toute restauration, problème commun à bien des édifices du XXe siècle.
L’étude de ces halles mais aussi les travaux menés sur l’église Notre-Dame-de-la-Consolation au Raincy entre 1988 et 1996, pour un coût total de 18,45 millions de francs, ont permis de définir les premiers éléments d’une doctrine conservatoire inspirée des méthodes mises en œuvre sur les chantiers de restauration traditionnels. Bâtie par les frères Perret en treize mois seulement et inaugurée en 1923, cette église, pompeusement baptisée “la Sainte Chapelle du XXe siècle”, est l’exemple typique d’une technique mal maîtrisée : elle souffrait de divers maux liés à la composition défectueuse des bétons : malaxage insuffisant et absence de damage ont permis à l’eau de pénétrer, provoquant d’une part le gonflement ou l’éclatement de la surface, d’autre part la corrosion des armatures placées trop près de la surface.
Préserver l’épiderme
“La restauration, c’est la recherche de l’authenticité”, explique Pierre-Antoine Gatier. Il faut donc “éviter les remplacements et se limiter à des purges ponctuelles”. L’épiderme du béton, qui porte les empreintes de coffrage mais aussi les imperfections (nids de cailloux…), est comme le témoin archéologique du chantier de construction. Il est signifiant jusque dans ses défauts, signes d’une recherche, d’un état de la technique ; aussi convient-il de le préserver. Tout est mis en œuvre pour conjurer la tentation du fac-similé : réfection électrochimique (réalcalinisation) ; recherche d’un béton équivalent – avec les mêmes composants dans les mêmes proportions – pour les ragréages, et bannissement des résines synthétiques auxquelles on recourait sans scrupule il y a dix ans ; traitement des fers corrodés grâce aux propriétés de l’électricité... En revanche, pour les enduits, il suffit de faire appel aux savoir-faire traditionnels, l’architecture du XXe siècle n’étant pas si coupée qu’on a bien voulu le dire de l’histoire de la construction. Ce choix d’une intervention la plus fine possible devrait permettre de développer à terme de nouveaux métiers de restaurateurs.
Pour compléter les observations effectuées sur le terrain, des programmes d’étude ont été lancés par le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), dans le cadre du Cercle des partenaires du patrimoine, sur les altérations du béton et les moyens de restauration à mettre en œuvre. Le LRMH s’est associé pour l’occasion avec les ciments Calcia, le Laboratoire central des Ponts-et-Chaussées et la Caisse des dépôts et consignations. Sans doute une aussi large collaboration s’imposait-elle pour appréhender un matériau dont les variétés, aussi nombreuses que celles des composants et de leurs dosages, sont autant de difficultés pour les restaurateurs, également confrontés à l’extrême diversité des environnements...
Jusqu’à fin mai, Pavillon de l’Arsenal, 21 bd Morland, 75004 Paris, tél. 01 42 76 33 97, tlj sauf lundi 10h30-18h30, dimanche 11h-19h.
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Un béton mal armé contre le temps
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°81 du 16 avril 1999, avec le titre suivant : Un béton mal armé contre le temps