En 2016, la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême devrait inaugurer ses nouvelles salles du Trésor entièrement repensées par Jean-Michel Othoniel.
Un projet de mise en scène sans nul autre pareil que l’artiste nous dévoile ce mois-ci.
L’Œil Comment est né ce projet ?
Jean-Michel Othoniel Les monuments historiques m’ont demandé de mettre en scène le Trésor de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême. Cette commande est née de la restauration du monument à la période néo-romane. Lorsque les monuments historiques ont en effet décidé de restaurer la cathédrale, ils ont choisi de retrouver l’état néo-roman de l’édifice, celui de la restauration de Paul Abadie à la fin du XIXe siècle. Or le Trésor de la cathédrale date, en partie, de la même époque. Il s’agit d’un Trésor très théâtral, dont certaines pièces ont été faites par de grands orfèvres, mais dont la grande majorité sont des pièces de « pacotille », faites de métal embouti doré et de fausses pierres. L’idée des monuments historiques était donc de faire appel à un artiste qui travaille la notion du décor, du décoratif, du beau ; ils ont pensé à moi.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
J’ai été séduit par l’ampleur de la commande et par sa qualité, sans savoir que je m’embarquerais dans une histoire qui allait durer plusieurs années – les premiers contacts ont été pris avant 2010. Ce qui m’a d’abord intéressé a été de travailler sur la relecture de l’art roman, et ce qu’il contient d’abstraction : les entrelacs, les formes géométriques et les nœuds très présents dans la restauration d’Abadie. Ensuite, la symbolique du Trésor m’a plu ; l’idée du merveilleux qui correspond à mon travail. La période concernée, la fin du XIXe siècle, était aussi passionnante, soit un moment de l’histoire pendant lequel on relit la période romane à travers des éléments techniques modernes. Où les carreaux en ciment remplacent par exemple les carreaux en faïence et où l’électricité entre dans les églises pour remplacer les bougies. C’est pourquoi j’ai fait appel aux mêmes artisans qu’Abadie : je souhaitais travailler avec des gens qui refont aujourd’hui des carreaux en ciment ou des vitraux comme on les fabriquait à l’époque d’Abadie ! Pour moi, ce projet est bien plus qu’une œuvre, c’est une scénographie théâtrale et globale.
Vous intervenez donc cette fois davantage comme metteur en scène que comme artiste…
Oui, sauf qu’à la différence du metteur en scène, j’ai tout réalisé à Angoulême : les sols, les vitraux, les murs (les papiers peints), les vitrines (qui sont de grandes sculptures de perles qui accueilleront le Trésor), mais aussi le choix même des pièces du Trésor que nous montrerons, tout cela bien sûr de concert avec l’église et les monuments historiques.
Quel a été votre parti pris ?
Je souhaite rendre hommage aux hommes et aux femmes qui dédient leur vie à la foi. Le véritable Trésor, c’est la foi ! Les deux premières salles sont austères, au contraire de la troisième et dernière salle qui est une accumulation de centaines d’objets. La première montrera le lapidaire récupéré et sauvé par Abadie, que je remets en scène autour d’une magnifique Vierge romane. La deuxième salle sera composée de mobiliers faits en perles noires, dans lesquels sera expliqué le rituel – il était important de rappeler que les objets du Trésor que les visiteurs s’apprêtent à voir dans leur flamboyance et leur folie correspondent à des actes précis du rituel. À ce moment du parcours, il y aura un début d’opulence avec les rideaux en broderie que j’ai fait faire par des brodeuses à l’or qui travaillent en Poitou-Charentes, et qui font partie du patrimoine vivant de la région.
La troisième et dernière salle, gigantesque, est dédiée quant à elle à la théâtralité de l’époque néo-romane : des centaines d’objets y sont accumulées dans des vitrines, dans un Trésor digne de Raymond Roussel. Le visiteur y pénètre comme à l’intérieur d’une châsse, où les sols font écho aux papiers peints, qui font écho aux quatre grands vitraux – chaque vitrail possède plus de cent mille pièces montées les unes aux autres –, tout cela en reprenant un seul motif abstrait que j’ai décliné à l’infini pour créer une sorte de résille colorée qui court du sol aux vitraux. Cette salle contiendra par ailleurs le reliquaire que j’ai créé pour recevoir les reliques de saint Pierre Aumaître, martyrisé à la fin du XIXe siècle en Corée [en 1866, ndlr]
Comment ce projet religieux résonne-t-il en vous ?
Il résonne en moi de manière particulière, car si je ne fais pas appel au religieux dans mon travail, mes œuvres appellent le spirituel. Je suis un artiste profondément laïc, et qui le reste après cette commande ; mais ce projet m’a donné l’occasion de travailler sur la spiritualité des objets et sur l’idée du rituel, qui m’intéresse. À travers ce Trésor, j’amène les gens à voir.
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A travers le Trésor d’Angoulême, j’amène les gens à voir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°685 du 1 décembre 2015, avec le titre suivant : A travers le Trésor d’Angoulême, j’amène les gens à voir