Thierry Lefrançois, conservateur en chef du patrimoine, directeur des musées d’art et d’histoire de La Rochelle, présente Arabe sur un mur (vers 1854-1857), d’Eugène Fromentin, une œuvre acquise récemment.
Il est bien difficile pour un conservateur de désigner l’« œuvre de son choix », chaque pièce entrant dans les collections résultant, sauf pour de rares exceptions, de ce qu’il est convenu d’appeler un coup de cœur. Je vous parlerai donc du « coup de cœur » qui m’a le plus touché parmi les récentes acquisitions faites pour notre musée des beaux-arts.
Il s’agit d’un petit tableau d’Eugène Fromentin (1820-1876) intitulé Arabe sur un mur. Les non-initiés doivent tout d’abord savoir que ce célèbre peintre et écrivain incarne l’une des gloires rochelaises, puisqu’il est né et décédé dans notre cité qu’il a par ailleurs fréquentée assidûment toute sa vie. Fromentin a exécuté au cours de sa carrière de nombreux tableaux orientalistes, mais tous ne présentent pas la même inspiration et le même intérêt. De retour de ses trois et uniques voyages en Algérie entre 1846 et 1853, Fromentin va réaliser vers 1854-1857 quelques-uns de ses tableaux orientalistes les plus attachants, car fortement marqués par la spontanéité d’une vision toute fraîche. Ces œuvres rares, à la série de laquelle appartient notre Arabe sur un mur, se situent en quelque sorte entre les esquisses peintes et notations de petit format faites rapidement sur le motif et les toiles plus largement recomposées ultérieurement, et ceci jusqu’à la fin de la carrière de l’artiste.
D’une écriture encore très sommaire, cette œuvre s’apparente étroitement par sa technique à l’Intérieur d’un atelier de tailleur arabe, panneau de la même époque qui fait également partie de nos collections. Un repentir encore perceptible à gauche révèle la présence initiale d’un troisième personnage supprimé ensuite par le peintre. La palette est d’une rare intensité et d’une touche diffuse très moderne que l’artiste abandonnera bientôt au profit d’une facture léchée plus conventionnelle.
Le sujet peut paraître à première vue énigmatique pour un Européen, mais tous ceux qui connaissent bien l’Afrique du Nord et ses mœurs n’ont aucune peine à reconnaître ici un maître d’école instruisant ses élèves. Assis sur un mur qui est en fait une petite estrade extérieure, il tient de la main droite la baguette qui lui permet de désigner l’objet de ses leçons. Un enfant appuyé sur l’estrade semble absorbé par cet enseignement. Il s’agit là d’un sujet révélateur de la vie algérienne de l’époque dans ce qu’elle pouvait avoir de plus quotidien et de plus authentique. Fromentin abandonnera rapidement ces sujets intimistes pour ne plus montrer que des fantasias, des scènes de chasse, ou quelques magistrales compositions plus élaborées mais quelque peu artificielles, dans lesquelles il privilégiera le cheval, très demandé par les amateurs, et le cavalier arabe, traduction africaine à ses yeux du chevalier du Moyen Âge.
On peut par conséquent considérer comme exceptionnelle de vérité et de fraîcheur d’inspiration cette petite toile sans prétention, mais d’une vigueur de facture et de coloris peu commune dans l’œuvre du grand maître rochelais.
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Thierry Lefrançois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°181 du 21 novembre 2003, avec le titre suivant : Thierry Lefrançois