La Tate Gallery a presque atteint l’objectif de 166 millions de livres sterling (1,7 milliard de francs) qu’elle s’était fixé pour ses deux projets du millénaire : la création de la Tate Modern, à Bankside, et la réorganisation de la Tate Britain, à Millbank. D’autres grandes institutions, tels le British Museum et le V&A, sont également à la recherche de financements. « Nous pêchons tous dans la même mare », reconnaît Fay Ballard, chargée de la recherche des fonds pour la Tate Gallery, tout en expliquant comment elle a réussi cette collecte dont rêverait bien d’autres musées.
LONDRES (de notre correspondant) - Des deux projets, la création de la Tate Modern à Bankside, d’un coût de 134,2 millions de livres sterling, était le plus ambitieux. Fay Ballard, chargée de réunir les fonds, a commencé il y a cinq ans à contacter les personnes les plus favorables à cette idée (ainsi que quelques organisations) afin d’obtenir les 3 millions de livres nécessaires au lancement de l’opération. La réunion de cette fraction de la somme totale a convaincu la Commission du Millénaire de la solidité de l’entreprise et incité les premiers donateurs à faire de nouvelles contributions.
La Tate ayant déposé très tôt sa demande auprès de l’Heritage Lottery Fund, son projet a été l’un des premiers acceptés et, en octobre 1995, la Millennium Commission lui a alloué 50 millions de livres. En mai 1996, elle a acheté la centrale électrique de Bankside et reçu 12 millions de livres d’English Partnerships (l’agence gouvernementale de rénovation urbaine) pour faire enlever les machines. Réunir la seconde partie de la somme a été plus délicat. Fay Ballard a utilisé la stratégie de la pyramide : d’abord s’adresser aux personnes les plus enthousiastes et les plus fortunées, puis à celles qui le sont un peu moins. La liste des donateurs potentiels a été établie en prenant conseil auprès des administrateurs de la Tate, dont certains sont des artistes, d’autres fortunés ou en contact avec le monde de l’argent. La Tate a choisi de les contacter directement, plutôt que par lettre, souvent par l’intermédiaire d’un ami.
Près de la moitié vient de l’étranger
Pour Bankside, l’ensemble des donateurs privés (y compris les trusts familiaux et les organisations charitables, comme les confréries de la City) a apporté près de 55 millions de livres. Les deux tiers proviennent de 24 bienfaiteurs-fondateurs, chacun ayant donné environ un million de livres. Sur ces 55 millions, seul un peu plus de la moitié est de provenance britannique ; le reste vient de l’étranger, des États-Unis essentiellement (y compris d’Américains ayant des liens étroits avec la Grande-Bretagne), mais aussi d’Europe et, pour une moindre part, d’Extrême-Orient. Fay Ballard, souligne que Bankside est un musée “international” : “Beaucoup de collectionneurs américains passent une bonne partie de leur temps à voyager. Ils se considèrent comme des citoyens du monde soutenant un projet global”. En outre, les Américain ont pour tradition (qu’encourage leur système fiscal) de donner aux organismes de bienfaisance et aux arts ; ils sont d’ailleurs très sollicités par les musées de leur propre pays.
Refus de Christie’s et Sotheby’s
La faible participation des grandes entreprises au projet de Bankside peut paraître surprenante : 2,4 millions de livres, soit moins de 2 % du total. Dans le monde de l’art, seuls Christie’s et Sotheby’s sont des partenaires suffisamment importants pour devenir des donateurs fondateurs, mais ils auraient, l’un et l’autre refusé ce rôle – et, du même coup, l’occasion d’avoir une salle portant leur nom.
Bankside a une source d’argent assurée : le Lottery Fund de l’Arts Council lui a offert en février 6,2 millions de livres pour la création d’un ensemble de salles d’art contemporain. Reste à réunir 9 millions, ce qui devrait être chose faite d’ici l’ouverture de la Tate Modern, en mai 2000.
Pour l’agrandissement du bâtiment actuel de Millbank et la réorganisation de la Tate Britain, 32,3 millions de livres devaient être réunis. Ce projet a également été soumis très tôt à l’Heritage Lottery Fund qui, en février 1997, a accordé à la Tate 18,75 millions de livres, soit peu plus de la moitié de la somme totale. Les principaux bienfaiteurs de la Tate Britain, Sir Edwin et Lady Manton, ont apporté 5,7 millions ; d’autres donateurs privés 7 millions, et les entreprises 100 000 livres. Il ne reste donc plus à Anne Beckwith-Smith, chargée de la recherche des financements, qu’à recueillir 700 000 livres avant le lancement du projet en mars.
Combien aura coûté la recherche des financements pour Bankside et Millbank ? Les dîners de gala ont été évités ; ni billets d’avion ni chambres d’hôtel n’ont été offerts aux donateurs d’outre-Atlantique, qui ont toutefois été invités aux réceptions officielles du musée. La source majeure des dépenses aura été la gestion de l’équipe chargée de la collecte des fonds : un peu moins d’un million de livres en cinq ans. Si l’on y ajoute divers frais de représentation et de personnel, le coût de l’opération représentera environ 1 % des 166 millions.
La gestion simultanée des deux campagnes a créé quelques difficultés à la Tate qui, en général, n’a jamais demandé à un même donateur de soutenir les deux projets : ils ont été contactés en fonction de leur intérêt particulier soit pour l’art britannique soit pour l’art moderne. Le problème le plus délicat portait sur la disponibilité des fonds de la Loterie, d’autres musées essayant d’obtenir des subventions importantes pour leurs projets de développement.
En mai, la demande de financement de 105 millions de livres pour la “Great Court” du British Museum a reçu une réponse favorable, appuyée par un apport de 30 millions de la Millennium Commission et de 15,75 millions de l’Heritage Lottery Fund. Le Victoria & Albert Museum est lui aussi à la recherche de fonds : 31 millions pour ses Galeries britanniques – 23 millions ont déjà été rassemblés, en grande partie grâce à l’Heritage Lottery Fund – et 80 millions pour la “Spirale” conçue par Daniel Libeskind (un donateur, qui souhaite garder l’anonymat, s’est engagé à offrir 20 millions) : “Nous pêchons tous dans la même mare”, reconnaît Fay Ballard.
Pour la grande exposition d’Art britannique inaugurant son nouvel espace de Millbank, en mars 2001, la Tate Gallery a conclu de prêts mutuels un accord avec le Yale Center for British Art, à New Haven dans le Connecticut. La Tate souhaite obtenir une vingtaine de tableaux, parmi lesquels un Rubens peint en Angleterre, La Paix embrassant l’Abondance, un Canaletto, Le Château de Warwick, des peintures de Stubbs (dont quatre Scènes de chasse, Zèbre et Cheval effrayé par un lion), ainsi que Le Château de Hadleigh par Constable, qui sera exposé à côté d’une esquisse à l’huile appartenant à la Tate. En contrepartie, la Tate accorderait au musée américain un prêt à court terme d’œuvres majeures d’artistes du XXe siècle absents de ses cimaises : Sutherland, Freud, Hockney, Riley... Le Yale Center est également très pauvre en tableaux de l’École St. Ives : “La Tate pourrait nous aider à montrer au public américain que l’art britannique est aussi intéressant que l’art italien ou français. Nous avons une mission commune avec la nouvelle Tate Gallery d’art britannique�?, explique son directeur, Patrick McCaughey. Les deux institutions étendront probablement leur collaboration à l’organisation conjointe d’expositions.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Succès à l’anglaise
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°92 du 5 novembre 1999, avec le titre suivant : Succès à l’anglaise