Musées

Révolution viennoise

Le Journal des Arts

Le 29 avril 2005 - 847 mots

Après la réforme autrichienne des musées,
les institutions sont obligées de lutter pour s’imposer.

VIENNE - En 1999, les musées nationaux autrichiens sont devenus des « organismes autonomes ». À côté des effets positifs, cette mesure, qui a bouleversé le paysage muséal, notamment viennois, a aussi eu des répercussions très négatives. Certes, l’autonomie de gestion a permis de procéder à une rénovation des structures administratives, obligeant à des réaménagements internes, au nom d’une plus grande efficacité, et offrant une indépendance basée sur des subventions définies. Toutefois, elle a aussi déclenché des dynamiques qui, au fil du temps, ont favorisé les grands musées, traditionnellement très fréquentés, et ayant un mode de gestion managérial. En revanche, les petits musées, ou les musées qui n’ont pas su s’adapter aux nouvelles attentes – soit par manque de préparation de leur direction, soit par l’absence d’un réseau de contacts et de synergies, particulièrement au niveau international –, sont restés à la traîne. Il ne s’agit pas seulement de musées méconnus : dans cette liste figurent aussi bien le MAK (Musée des arts appliqués), qui a vu ses ressources diminuer progressivement malgré les appels lancés par son directeur, Peter Noever, que le Mumok (Musée d’art moderne), qui, malgré la hausse de 30 % de la fréquentation enregistrée l’année dernière, souffre de son emplacement (le Quartier des musées) qui s’est vite montré inapproprié.

Annexer le Belvédère
Dans une ville abritant plus de 150 musées, la lutte pour la survie a peu à peu fait naître deux tendances. D’un côté, l’ouverture de la programmation au-delà de la vocation première des différentes institutions – le Kunsthistorisches Museum a accueilli des expositions d’art contemporain, le MAK de l’architecture et de l’art contemporain et l’Albertina de la peinture –, ou la multiplication d’expositions portant sur le même thème, mais sans aucune synergie entre les musées (comme les expositions sur l’actionnisme viennois de l’année dernière). D’un autre côté sont apparues des collaborations bizarres, souvent dictées par une compétition insensée, comme les expositions sur Rubens réalisées par trois musées (Kunsthistorisches Museum, Liechtenstein Museum et la Galerie de l’Académie des beaux-arts), mais sans la participation de l’Albertina ; ou encore la création de petits empires, notamment celui du Kunsthistorisches, qui regroupe sous sa houlette une dizaine d’institutions et gère, entre autres, le Musée d’ethnologie et le Musée du théâtre, ou celui de la société de Schönbrunn, chargée non seulement de la gestion des palais impériaux, mais aussi de celle des Musées de l’ameublement et du tabac. Et la tendance pourrait se poursuivre puisque Klaus Albrecht Schröder, directeur de l’Albertina, ne cache plus son désir d’annexer le Belvédère.
Le ministère autrichien de l’Éducation, des Sciences et de la Culture n’a jamais montré la moindre volonté d’intervenir dans ce guêpier ni de trouver des solutions aptes à sauvegarder l’identité des musées nationaux, encore moins de leur assurer une existence digne – c’est-à-dire sans qu’ils soient obligés, pour joindre les deux bouts, de louer leurs salles pour la tenue de soirées d’entreprises ou d’organiser des expositions douteuses. Le rapport longtemps attendu sur cette situation vient enfin d’être partiellement rendu public par la ministre Elisabeth Gehrer. Il est dans l’ensemble positif sur ce qui a été réalisé. Cette autocomplaisance risque de jeter un voile pieux sur les difficultés réelles dont se plaignent de plus en plus souvent les directeurs des musées, aussi bien publics que privés. Sans parler des modèles de réorganisation proposés par certains médias ou partis politiques, comme les Verts, qui semblent agir plus par provocation que pour offrir de réelles solutions.

Le point de vue du directeur du Kunsthistorisches Museum

« Si nous comparons notre situation à celle de Paris ou de Londres, on ne peut pas dire qu’il faille changer quoi que ce soit dans le système des musées viennois. Si nous avons une bonne réputation internationale, c’est aussi grâce à ce que nous faisons. » Telle est la conviction de Wilfried Seipel, directeur du Kunsthistorisches Museum, une homme bénéficiant d’un soutien sans faille dans le milieu autrichien de l’art : «Il est vrai qu’il y a eu une superposition d’activités, mais c’est avoir une vision réductrice que de vouloir une direction univoque pour les différents musées. Si l’on veut atteindre un public plus large, il faut suivre différentes orientations », affirme Seipel. D’après lui, le débat actuel sur la situation des musées est un coup monté par les médias et par certains hommes politiques : « On ne peut pas penser, selon une logique néo-stalinienne, à des systèmes préconçus. Les Verts voudraient même un bureau central de coordination des expositions. Pire que dans l’ancienne RDA. » Et que pense-t-il des doléances de Edelbert Köb, directeur du Mumok, et de Peter Noever, directeur du MAK ? Et de la proposition de Schröder, directeur de l’Albertina, d’annexer le Belvédère ? « Je lui dis que ce n’est pas une bonne idée. Il vaudrait mieux fusionner le Kunsthistorisches et l’Albertina, puisque le Kunsthistorisches Museum a une section d’arts graphiques, comme d’autres grands musées. Mais ce n’est pas mon souci. Köb aime se plaindre, et Noever a eu un musée parfaitement restauré, contrairement à moi. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°214 du 29 avril 2005, avec le titre suivant : Révolution viennoise

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