Au printemps 1954, dans le premier numéro de la revue du Black Mountain College,école interdisciplinaire fondée en 1933 en Caroline du Nord, aussi célèbre pour son enseignement inspiré de l’expérience du Bauhaus que pour ses prestigieux professeurs et élèves (Cage, Rauschenberg, etc.), un article du poète Robert Creeley paraît accompagné d’un cahier de huit reproductions d’un peintre abstrait français.
« Son art commence là, à ce point des choses non encore reconnues, sans autres références qu’elles-mêmes », écrit l’auteur à propos de l’artiste. Ce dernier s’appelle René Laubiès, représentant de l’abstraction informelle de l’après-guerre, étiqueté « nuagiste » avec Benrath, sans même voir que nulle autre peinture n’était plus éloignée de la représentation atmosphérique que la sienne.
La culture américaine, René Laubiès la connaît bien, notamment à travers ses poètes. Fin lettré, comme l’on disait autrefois, Laubiès était également traducteur de l’américain vers le français. En 1958, il signe ainsi la première traduction française de son ami Ezra Pound, à propos de laquelle l’écrivain Henri Kréa écrira : « Le peintre René Laubiès est un des derniers naïfs de ce temps. Il aime la poésie. Et quand il s’étonne que le plus grand poète américain vivant soit inconnu à Paris, il le traduit. »
Pourtant, ce n’est pas de la culture américaine dont le peintre est le plus proche. Né en 1922 au Viêtnam, René Laubiès a passé les quinze premières années de sa vie en Asie. Lorsqu’il s’installe à Paris en 1949, après un passage par le Maroc et un voyage en Europe, Laubiès arrive nourri d’une culture philosophique et picturale orientale. C’est au Viêtnam qu’il a en effet appris, seul, à dessiner et à peindre, apprentissage dont il ne s’écartera jamais, bien au contraire : d’abord pleine de signes quasi pariétaux, sa toile va peu à peu s’en dépouiller pour tendre, à partir des années 1960, au dépouillement de la peinture, au vide. Laubiès a lu le Traité de la peinture du Chinois Guo Xi, peintre du Moyen Âge, qu’il a également traduit avant de le faire sien. En cela, il est un mystique, un poète de la peinture davantage tourné vers ses propres émotions que vers la nature. Après tout, à quoi bon recopier la nature quand l’homme peut rivaliser avec elle !
Peindre est un état qui nécessite la pleine concentration. « Je suis un peintre chinois de Haute Époque, sans doute réincarné, écrivait Laubiès en 2012 à la veille d’une exposition chez son galeriste Alain Margaron. Quand un peintre chinois de Haute Époque se mettait à peindre, il brûlait de l’encens, se recueillait dans le calme et le silence, concentrait son esprit et méditait […]. Son esprit libéré, il faisait le vide en lui et le communiait ainsi avec l’élan vital qui meut l’univers. » Les tableaux de Laubiès ne sont donc vides ni de sens ni de peinture, mais, au contraire, pleins du peintre. Et c’est ce qui le distingue de l’abstraction lyrique comme de l’expressionnisme abstrait auxquels il est parfois rattaché. Ni Mathieu ni Pollock donc, Laubiès n’est autre que lui-même, poursuivant la route autrefois ouverte par le Monet de l’Impression, soleil levant. Non celui qui peignait le soleil, mais ses impressions.
Celles-ci sont actuellement à redécouvrir aux Sables-d’Olonne, au Musée de l’abbaye Saint-Croix, qui consacre au peintre, avec la complicité de la Galerie Alain Margaron, une grande exposition de près de quatre-vingts toiles couvrant presque l’ensemble de sa carrière.
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René Laubiès
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°722 du 1 avril 2019, avec le titre suivant : René laubiès