Prison pour prêtres réfractaires, caserne et même maison de rétention pour filles publiques, ce somptueux monument, né de la volonté de Marguerite d’Autriche et désormais investi d’une vocation culturelle, poursuit son ambitieux programme de restauration.
Monument exceptionnel, Brou combine en un même lieu un mausolée, un monastère, une demeure princière ainsi que de riches collections d’œuvres d’art. Le caractère unique du site réside dans son histoire singulière. Ce qui frappe de prime abord le visiteur, c’est la taille de cet ensemble architectural. Son église, un pur joyau du gothique flamboyant, se distingue d’ailleurs plusieurs lieues à la ronde grâce à sa haute toiture vernissée polychrome. Ce faste s’explique par le statut de Bourg-en-Bresse lors de l’édification de ce complexe : au XVIe siècle, la ville était en effet l’une des capitales du duché de Savoie. Mais, par les hasards des alliances géopolitiques, c’est une Flamande qui porta la ville à son apogée.
Héroïne au destin romanesque, Marguerite d’Autriche (1480-1530) a d’abord été utilisée comme instrument politique avant d’affirmer son pouvoir personnel. Son père, Maximilien de Habsbourg, empereur du Saint-Empire romain germanique, décida ainsi de ses unions successives pour servir au mieux ses intérêts diplomatiques. Encore enfant, elle est mariée au dauphin de France. Toutefois, les aléas politiques en décident autrement et elle est répudiée par son promis.
En secondes noces, elle épouse Juan de Castille. Mais l’infant d’Espagne meurt prématurément. Celle dont la devise est « Fortune infortune fort une » convole finalement avec Philibert le Beau. Initialement, cette alliance avec le duc de Savoie a pour but de garantir un passage stratégique vers l’Italie aux troupes impériales mais, chose rarissime à l’époque, ce mariage d’État débouche sur un véritable amour. Toutefois, le sort s’acharne encore et, trois ans plus tard, Philibert disparaît dans la fleur de l’âge. À 24 ans seulement, Marguerite est veuve pour la deuxième fois. Elle portera le deuil de son bien-aimé jusqu’à la fin de ses jours et perpétuera sa mémoire par les arts.
Pour exalter le souvenir de son défunt mari et légitimer son propre pouvoir, elle lance un chantier pharaonique. Elle fait construire une vaste église pour abriter son tombeau, celui de Philibert et celui de sa belle-mère, Marguerite de Bourbon. Une église enchâssée dans un imposant ensemble conventuel composé d’un triple cloître. Mais un nouveau rebondissement survient : juste avant la pose de la première pierre, la duchesse est promue régente des Pays-Bas. Le chantier est donc piloté depuis son palais de Malines, dans les Flandres, avec des moyens nettement plus importants que prévu.
La princesse dépêche alors au cœur de la Bresse des artistes et des maîtres d’œuvre réputés comme l’architecte flamand Loys Van Boghem, le peintre Bernard Van Orley, le sculpteur Jean de Bruxelles ou encore son homologue souabe Conrad Meyt. Ces deux derniers conçoivent respectivement les tombeaux à étages et les gisants. Outre ces luxueux tombeaux, le chœur tout entier regorge d’ornements à la gloire du couple. Devise de la princesse, initiales P et M unies par des lacs d’amour, vitraux historiés à l’effigie des époux, clés de voûte portant leurs armes, sans oublier l’impressionnant retable sculpté, rien n’est trop beau pour perpétuer cet amour et magnifier la puissante fondatrice des lieux.
Ce somptueux monument, d’une grande cohérence stylistique, a miraculeusement échappé aux aléas de l’histoire et au vandalisme révolutionnaire. Il était pourtant sur la sellette : après le départ des moines en 1790, le site devait être vendu comme bien national. L’année suivante, il est finalement déclaré monument à conserver aux frais de la nation. Cette protection, près d’un demi-siècle avant la première liste des monuments historiques de Prosper Mérimée, l’a sauvé de la destruction mais ne lui a pas épargné des réutilisations fantaisistes. Prison pour prêtres réfractaires, caserne, dépôt de mendicité et même maison de rétention pour filles publiques, le monastère est ensuite transformé en grand séminaire diocésain jusqu’à la séparation des églises et de l’État. Cette affectation a hélas un impact négatif sur les bâtiments conventuels, car, pour optimiser l’espace, les galeries du cloître sont closes et les espaces intérieurs redistribués de manière à créer un maximum de chambres.
Après la loi de 1905, les séminaristes plient bagage et le lieu acquiert une vocation culturelle. L’église est rapidement ouverte à la visite et l’État cède à la ville de Bourg-en-Bresse une partie des cloîtres pour y installer son Musée des beaux-arts. Le monastère fait ensuite l’objet de plusieurs campagnes de restauration. La dernière en date, qui s’achève le 18 juin 2018, vient ainsi couronner vingt ans de travaux. Cette phase porte notamment sur le bas-côté sud de l’église, les tombeaux, ainsi que la restauration et le réaménagement des appartements destinés à Marguerite d’Autriche, au premier étage du cloître des hôtes. Ces travaux ont permis une refonte du parcours de visite ainsi qu’une meilleure lisibilité des différentes strates historiques de ce monument complexe et attachant.
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Redécouvrir le monastère royal de Brou
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : Redécouvrir le monastère royal de Brou