PARIS
La reconstruction de Mossoul piétine, plombée par des rivalités politiques comme par une absence de coordination entre les autorités irakiennes, les organismes internationaux et les ONG. Un programme visant à « Faire revivre l’esprit de Mossoul » au travers du patrimoine et de la culture a été lancé par l’Unesco.
Paris. Les reconstructions prennent toujours plus de temps que les destructions. Tombée aux mains de l’organisation État islamique (EI) en juin 2014, la région de Mossoul a ensuite connu des combats violents lors de sa « libération » par l’armée irakienne en 2017. L’EI s’était attaqué aux lieux de culte chrétiens et yazidis ainsi qu’à des sites antiques et à des bibliothèques, et les combats ont entraîné la destruction de 80 % de cette ville qui comptait auparavant 2 millions d’habitants. Selon les autorités irakiennes, en 2017, au moins 5 000 bâtiments dont des écoles et hôpitaux étaient entièrement détruits, et aucun des cinq ponts enjambant le Tigre n’avait résisté aux bombardements.
En février 2018 s’est tenue une conférence internationale au Koweït pour financer la reconstruction de l’Irak, un chantier estimé à environ 88 milliards de dollars (72 Md€). Pour Mossoul, les estimations varient de 11 à 30 milliards de dollars (9 à 24 Md€) selon les sources. D’après le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), le coût de la reconstruction des infrastructures s’élèverait à plus de un milliard de dollars (820 M€). Depuis la tenue de cette conférence règne une certaine confusion quant aux acteurs et aux projets. Outre les acteurs habituels comme la Banque mondiale et le FMI (Fonds monétaire international), déjà présents en Irak, les autorités irakiennes ont fait appel à plusieurs agences des Nations unies parmi lesquelles le PNUD et l’Unesco. Le PNUD s’est engagé à mettre en place 400 projets de reconstruction pour un budget de 212 millions de dollars (173 M€). L’Unesco a lancé en mars 2018 le programme « Faire revivre l’esprit de Mossoul », qui vise, selon Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, « à restaurer le sentiment de dignité des populations locales à travers la reconstruction du patrimoine et du système éducatif ». Ce programme s’attache donc à des actions d’ordre culturel, même si un fonds va être créé afin de financer le patrimoine : un premier projet prend forme actuellement avec la mosquée Al-Nouri de Mossoul, projet financé par les Émirats arabes unis à hauteur de 50,4 millions de dollars (41,3 M€) sur cinq ans. De grands musées occidentaux (Louvre, Smithsonian Institution) ainsi que l’Aliph (Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit) mettent en place des partenariats pour réhabiliter le musée et l’université de Mossoul, pillés par l’EI.
Une journée d’étude organisée par l’Unesco à Paris en septembre 2018 a cependant confirmé l’impression de désordre. Les Irakiens étaient représentés par plusieurs ministres, le président du Fonds de reconstruction des zones affectées par des opérations terroristes (ReFAATO), le gouverneur de la province de Ninive, le président de l’université de Mossoul et le président du Fonds de dotation des sunnites. Plusieurs agences de l’ONU étaient présentes ainsi qu’une déléguée de la Commission européenne et la ministre de la Culture des Émirats. Serait-ce l’Unesco qui impulse la dynamique de la reconstruction ? Non, selon Lazare Eloundou, directeur adjoint du Centre du patrimoine mondial à l’Unesco : « C’est à la demande des autorités irakiennes que l’Unesco intervient pour identifier les besoins prioritaires en matière de patrimoine et de culture, en vertu des mandats dont elle dispose, précise-t-il. La dimension humaine et culturelle est aussi fondamentale que les questions sécuritaires et économiques. » L’Unesco ne gère pas en effet la reconstruction du bâti.
En ce qui concerne les infrastructures, les donateurs et la Banque mondiale s’adressent « directement aux comités et fonds irakiens pour la reconstruction ». Le principal fonds de reconstruction est le ReFAATO, créé en 2015 et actuellement présidé par Mustafa al-Hiti. Celui-ci avait déclaré à la tribune de l’Unesco avoir obtenu « des prêts de la Banque mondiale, de l’Allemagne et du Koweït » pour respectivement 750 millions de dollars (614 M€), 610 millions de dollars et 100 millions de dollars. Une partie seulement de ces sommes ira à la reconstruction de Mossoul puisque ce fonds est destiné à toutes les zones touchées par le terrorisme en Irak.
Comment se fait-il que, malgré ces sommes importantes et le nombre élevé de partenaires, la reconstruction tarde tant ? Dans les rues de Mossoul, seules quelques écoles ont rouvert, et de nombreux quartiers n’ont pas d’électricité ou d’eau courante. Aucun des ponts sur le Tigre n’a été reconstruit. Sur le site du ReFAATO, plusieurs appels d’offres pour des chantiers de reconstruction font l’objet d’une deuxième annonce faute de candidats adéquats, et certains chantiers ne trouvent visiblement jamais preneur.
Pourquoi les projets n’avancent pas
L’une des causes souvent évoquées est la corruption, endémique en Irak. L’archéologue mossouliote Faisal Jeber rappelle que « l’Irak était classé 167e sur 176 pays par l’ONG Transparency International en 2017 (169 sur 180 en 2018), ce qui en fait l’un des pays les plus corrompus au monde ». Un problème que le nouveau président irakien Barham Saleh identifie comme un frein à l’investissement privé dans la reconstruction de Mossoul. Ce dernier a annoncé la création d’une agence centrale dont la mission serait de coordonner la reconstruction de l’Irak. Or c’est le ReFAATO qui devrait remplir cette fonction, mais son président avait déploré devant l’Unesco « un manque de coordination entre les institutions irakiennes, les ONG et les Nations unies ».
Cette absence de ligne directrice pour la reconstruction n’est guère surprenante au vu des mauvaises relations qu’entretiennent les autorités locales et la population de Mossoul, essentiellement sunnites, avec le gouvernement de Bagdad. Selon Nicolas Hénin, spécialiste du Moyen-Orient et président de l’organisation Action Résilience, « les relations sont tendues avec le gouvernement, majoritairement shiite, de Bagdad, [quand] à Mossoul on aspire à plus d’autonomie ». Faisal Jeber estime lui que le gouvernement « a une attitude condescendante envers les ONG locales et essaye de les marginaliser ». Des relations aussi médiocres entravent le fonctionnement des institutions. De plus, pour qu’une reconstruction ait des chances d’aboutir,l’État doit être« toujours derrière, pour soutenir », selon Caecilia Pieri, chercheuse associée à l’IFPO (Institut français du Proche-Orient, Beyrouth). Cette spécialiste de l’histoire urbaine de l’Irak fait le parallèle entre la situation de Mossoul et celle des villes européennes après 1945, faisant observer :« À Mossoul, la privatisation à tous crins de la reconstruction ne marchera pas car la centralisation reste la culture politique locale. »
Les autorités locales ne parviennent pourtant pas à assurer la sécurité des sites archéologiques des environs de Mossoul, dont certains sont inscrits au Patrimoine mondial. Ainsi, à Ninive, Faisal Jeber a constaté il y a quelques semaines « des travaux de terrassement dans la zone de protection de 1 000 m » instaurée par la loi autour des sites archéologiques. Mais une nouvelle réglementation a récemment réduit ce périmètre à 250 m, une décision critiquée par Faisal Jeber à cause du risque de fouilles illégales : « Nous sommes en conflit ouvert avec les autorités à ce sujet », avoue-t-il.
Dans ce chaos pointe un espoir : selon Lazare Eloundou, en 2019 sera élaborée « une analyse globale pour un plan d’urbanisme à l’échelle de la ville ». À voir les obstacles qui se dressent sur le chemin de la reconstruction, l’estimation de l’Unesco selon laquelle cela pourrait prendre « jusqu’à dix ans » paraîtrait presque optimiste.
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Reconstruire Mossoul, entre lenteur et désordre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°513 du 14 décembre 2018, avec le titre suivant : Reconstruire Mossoul, entre lenteur et désordre