Un chapelet d’églises recouvre la capitale. Chacune possède ses trésors tapis dans l’ombre des chapelles. Un éclairage sur ce patrimoine révèle une richesse ignorée et pourtant à la portée de tous. Découverte du « musée des églises ».
Vaincre ses préjugés ou la timidité qu’inspirent parfois les lieux sacrés tiendra toutes ses promesses. En particulier pour le promeneur parisien qui osera pousser la lourde porte des églises, comme il le fait allégrement pour les musées de la ville, depuis qu’ils sont gratuits. La comparaison avec le musée ne se limite pas à la gratuité, acquise depuis toujours dans les églises, mais s’étend aux collections d’art d’une ampleur et d’une diversité insoupçonnées.
Bien des chefs-d’œuvre qu’envieraient les plus grands musées du monde entier sommeillent dans les églises de la capitale. Ils ne demandent qu’à être réveillés par les prières ou les regards du spectateur. Qu’il soit croyant ou agnostique, celui-ci découvrira neuf siècles d’art religieux parvenu jusqu’à nous, malgré d’innombrables destructions. Les œuvres préservées témoignent de l’effort permanent des artistes et de leurs commanditaires pour embellir les maisons du Seigneur.
Le faste de l’Ancien Régime
La commande religieuse a été pendant des siècles la source principale de revenus des artistes. Un marché alimenté par l’accroissement constant de la population parisienne entraînant la construction de nouvelles églises paroissiales. Au cours du XVIIe siècle, plus de quatre-vingts établissements monastiques sortent de terre avec leurs cloîtres et leurs églises, transformant la capitale en un immense chantier.
Les artistes sont sollicités de toutes parts et profitent du climat favorable de la Contre-Réforme qui encourage la multiplication des images de dévotion. Paris se dote pour la première fois d’églises à dôme, dont les calottes sont décorées par les plus grands peintres du royaume : Champaigne à la Sorbonne (Ve), Mignard au Val-de-Grâce (Ve), et La Fosse aux Invalides (VIIe). Dans les églises plus modestes, les nefs s’embellissent d’un retable architecturé, comme celui de Saint-Nicolas-des-Champs (IIIe), qui sollicita, en 1629, le concours du peintre Simon Vouet et du sculpteur Jacques Sarrazin. Les maîtres-autels se parent de vastes compositions religieuses comme en témoigne la Présentation de la Vierge au Temple du peintre Quentin Varin, peinte en 1627 pour l’église Saint-Joseph-des-Carmes (VIe).
Dans les chapelles, les autels sont rehaussés d’innombrables tableaux et sculptures dus aux mécénats des princes ou à des confréries de dévotion et de métier qui jouèrent un rôle irremplaçable dans la décoration intérieure des églises. Celui de la corporation des orfèvres de Paris est à ce titre exemplaire. De 1630 à 1704, la corporation offrit, chaque année, en mai, un tableau à la cathédrale Notre-Dame (IVe). Sur les soixante-seize « May » autrefois réunis, seul quelques-uns signés La Hyre, Bourdon ou Baugin sont encore conservés dans l’édifice médiéval.
Le désastre de la Révolution de 1789
Les édifices religieux et les milliers d’œuvres qu’ils abritaient furent les principales victimes du vandalisme révolutionnaire. Entre 1792 et 1793, les signes ostensibles rappelant la puissance et la fonction de l’Église sont abattus aveuglément. Le mobilier rescapé, devenu entre-temps bien national, est vendu ou entreposé dans des dépôts d’œuvres d’art, confiés à la garde d’Alexandre Lenoir. Celui-ci transforme le dépôt des Petits-Augustins (ancien couvent devenu l’actuelle École des beaux-arts) en musée des Monuments français, où sont exposés les trésors des églises de France. Les œuvres de provenance parisienne y sont de loin les plus nombreuses.
À la fermeture du musée, en 1816, peu d’entre elles regagneront leur destination d’origine. Le cycle complet, et toujours en place, de La Vie de saint Augustin, peint par Van Loo pour le chœur de Notre-Dame des Victoires (IIe), est une exception. Les œuvres provenant d’églises démolies gagnent les musées ou sont attribuées à d’autres édifices religieux. C’est le cas, par exemple, du Christ et la Samaritaine de Jacques Stella et de La Résurrection de la fille de Jaïre de Charles de La Fosse, deux tableaux d’autel suspendus dans la nef de la petite église Notre-Dame-de-Bercy (XIIe).
Le renouveau de l’art religieux
Lorsque, en 1802, le Concordat rendit au clergé la disposition des églises, prêtres et fidèles découvrirent des bâtiments ravagés et vides de tout mobilier. Il fallut restaurer et remeubler des édifices menaçant ruine. La tâche est immense et accaparera plusieurs gouvernements successifs. De son côté, la ville de Paris consacra de grands efforts au rétablissement du décor monumental par une politique d’acquisitions et de commandes. De grands préfets marquèrent cette période faste, tel le comte Gaspard de Chabrol, préfet de la Seine de 1812 à 1830. Il fut à l’origine de la création du service des beaux-arts de la ville et, sous son autorité, plus de cent cinquante commandes de peintures et de sculptures furent passées à près de quatre-vingts artistes. Cette politique ambitieuse poursuivie par les successeurs de Chabrol concourut au nouvel âge d’or de l’art religieux au XIXe siècle. Des artistes aussi divers, voire opposés, que Delacroix, les frères Flandrin, Corot et Puvis de Chavannes marquèrent de leurs œuvres le paysage religieux parisien.
L’époque contemporaine apporte également son lot de belles réalisations. Les peintures murales de Nicolas Untersteller, exécutées dans le transept de l’église Sant-Pierre-de-Chaillot (XVIe), restent un bel exemple du mariage possible de la couleur et du béton. Les « chantiers du cardinal » permirent d’ériger vingt et une églises nouvelles dans Paris entre 1931 et 1957. Celle du Saint-Esprit (XIIe), décorée par Maurice Denis et les Ateliers d’art sacré, est de loin la plus belle entreprise de l’entre-deux-guerres. Plus récemment, la sculpture de Keith Haring (1990) à Saint-Eustache (Ie) ou les vitraux de Martial Raysse (2001) à Notre-Dame-de-l’Arche-d’Alliance (XVe) montrent la permanence d’une tradition et, plus encore, le lien fécond unissant les mondes de l’art et de la spiritualité.
Saint-Eustache (Ier arrondissement)
Le 1er décembre 2003 était inaugurée, dans l’église Saint-Eustache, La Vie du Christ, dernière œuvre de l’artiste new-yorkais Keith Haring, mort du sida en 1990. Le triptyque était offert à la Ville par la fondation Keith Haring, créée par l’artiste, après qu’il a eu connaissance de sa séropositivité en 1988. L’œuvre déposée à Saint-Eustache encourage l’action pour les malades, menée par la paroisse depuis l’apparition de ce fléau. Le maître du graffiti, un art à l’origine éphémère, pérennise ici dans le bronze son style reconnaissable entre tous. Il y ajoute une profondeur spirituelle inédite. Le message passe et transporte le regardeur.
Saint-Eustache, 2, impasse Saint-Eustache. Du lundi au vendredi de 9 h 30 à 19 h ; le samedi de 10 h à 19 h et le dimanche de 9 h à 19 h.
Saint-Denys-du-Saint-Sacrement (IIIe)
Depuis le 4 juin 1840, date à laquelle le comte de Rambuteau, alors préfet de la Seine, attribue à Delacroix la décoration d’une des chapelles de l’église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement, celle-ci peut s’enorgueillir d’être liée au premier projet de décoration religieuse confié au célèbre artiste. La Pietà, peinte en 17 jours au son des messes chantées, inspira à Baudelaire l’un de ses plus poignants commentaires : « Ce chef-d’œuvre laisse dans l’esprit un sillon profond de mélancolie. »
Saint-Denys-du-Saint-Sacrement, 68, bis, rue de Turenne. Tous les jours de 8 h à 19 h ; vacances scolaires de 8 h à 12 h et 16 h 30 à 19 h.
Cathédrale Notre-Dame (IVe)
La plus belle peinture religieuse des frères Le Nain, et pourtant la moins commentée, est sans doute La Nativité de la Vierge exposée sur l’autel de la sixième chapelle du bas-côté droit de la cathédrale Notre-Dame. Sainte Anne donne le sein à la Vierge sous l’œil attendri de son père Joachim. Cette scène qui préfigure la Nativité du Christ est empreinte d’une poésie et d’une vérité sentimentale uniques qui est la marque distinctive des Le Nain, dans les années 1630-1640.
Cathédrale Notre-Dame, place du Parvis Notre Dame. Tous les jours de 8 h à 18 h 45, à 19 h 15 le samedi et le dimanche.
Saint-Étienne-du-Mont (Ve)
À l’ombre du Panthéon, l’église Saint-Étienne-du-Mont abrite un chef-d’œuvre absolu de la Renaissance française. Son jubé, sculpté avant 1540, s’ouvre sur le transept par un élégant arc surbaissé d’une portée remarquable de neuf mètres. Il porte une tribune sur laquelle les moines de l’abbaye voisine commençaient la lecture des Évangiles par la formule latine : Jube, domine, benedicere, soit « Ordonne, seigneur, de bénir » le célébrant. C’est ainsi que la clôture liturgique avait pris le nom du premier mot de la cérémonie.
Saint-Étienne-du-Mont, place Sainte-Geneviève. Du mardi au samedi de 8 h 45 à 19 h 30 ; samedi et dimanche de 8 h 45 à 12 h 15 et 14 h 30 à 19 h 45. Fermé le lundi matin.
Saint-Nicolas-du-Chardonnet (Ve)
L’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet est éternellement associée au peintre Charles Le Brun depuis que celui-ci y fonda sa chapelle familiale pour y loger le tombeau de sa mère décédée en 1668. Il conçoit lui-même le dessin du monument qu’il confie au sculpteur Jean Collignon qui signe là l’une de ses plus émouvantes réalisations. Le doute, voire la crainte, tout autant que l’espoir se lisent sur le visage de la défunte, arrivée au jour du Jugement dernier. La balance est terrible : elle sera châtiée pour ses péchés ou récompensée d’une vie vertueuse.
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, 23, rue des Bernardins. Tous les jours de 7 h à 20 h.
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À Paris, des trésors artistiques méconnus dans les églises
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°620 du 1 janvier 2010, avec le titre suivant : À Paris, des trésors artistiques méconnus dans les églises