Inauguration

N’en jetez plus !

La Pinacothèque de Paris ouvre un nouvel espace de « collections permanentes » qui pose question

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 15 février 2011 - 687 mots

PARIS - Imaginez un chef vous promettant un repas avec les meilleurs produits du terroir arrosés des meilleurs crus. Aussi étourdissante soit la qualité des ingrédients, s’ils sont mal cuisinés, mal assaisonnés ou mal assortis, l’indigestion guette…

Ce sentiment n’est pas loin de ce que l’on ressent en visitant le nouveau « musée » de la Pinacothèque de Paris, rue Vignon dans le 8e arrondissement, à un jet de pierre de la place de la Madeleine. Inaugurés le 26 janvier, ces 3 000 mètres carrés supplémentaires dépourvus de lumière naturelle se partagent entre des salles consacrées aux expositions temporaires (actuellement « L’Ermitage, la naissance du musée impérial. Les Romanov, tsars collectionneurs » et « La naissance du musée. Les Estherházy, princes collectionneurs » jusqu’au 29 mai), et quatre autres espaces accueillant les 95 tableaux prêtés par des particuliers à plus ou moins long terme (on distingue surtout les collections Kremer et Pérez Simón) constituant ledit « musée » ou « collection permanente ». 

Approche provocante 
Depuis l’ouverture d’un premier espace d’exposition place de la Madeleine en 2007, Marc Restellini, directeur des lieux, s’est rapidement imposé sur la scène parisienne : en 2009-2010, l’exposition « L’âge d’or hollandais », en collaboration avec le Rijksmuseum d’Amsterdam, aurait attiré 700 000 visiteurs ! Grâce à une stratégie marketing au service de  l’événement et un matraquage publicitaire, le succès public est au rendez-vous. Avec ce nouveau « musée », l’approche varie et se veut volontiers provocante : « La Pinacothèque de Paris se définit comme le premier musée, né à Paris, depuis fort longtemps », affirme Marc Restellini dans le texte d’introduction aux salles. Et pourtant, le directeur déplore par la suite qu’une œuvre « meure, perde sa vie dès qu’elle se sanctuarise dans le musée »… Comment évite-t-il le contresens ? En réfutant tout le travail classique, et donc « mortifère » des scientifiques, et en misant sur la carte « cabinet de curiosité ». C’est là toute l’astuce du procédé, car avec une telle approche, Marc Restellini rend non seulement un hommage appuyé aux collectionneurs qui lui ont confié leurs biens, mais il justifie aussi l’hétéroclisme du corpus présenté : une centaine de tableaux de toutes les époques et de toutes les écoles européennes, parsemée d’art africain. De la nature morte à la « vie intérieure », en passant par le paysage, l’accrochage thématique achève de brouiller les pistes et les esprits. En effet, une présentation chronologique ou didactique n’aurait pas pu masquer les manques du point de vue de l’histoire de l’art au sens classique du terme (contrairement à la petite sélection de la collection Estherházy qui se présente par école au sous-sol), et aurait donné à l’ensemble l’aspect d’une réserve de luxe.

Carambolage
Selon « une logique iconographique, esthétique et sensitive afin de rétablir le dialogue du cabinet de l’amateur », les œuvres de toutes natures se bousculent : sur un même mur se côtoient Gaston Chaissac, Ghirlandaio, une Odalisque de Delacroix, une statue hermaphrodite Dogon Niongom et un Nu debout de Nicolas de Staël. Et c’est là où le bât blesse. Si la logique d’un cabinet d’amateur veut que la personnalité du collectionneur transparaisse dans ses choix, aussi éclectiques soient-ils, cette singularité se perd ici par le simple fait qu’il s’agit de plusieurs collections, et donc de plusieurs personnalités… Quelques joyaux sont néanmoins décelables dans ce carambolage – Une personnification de la sculpture de Paul Véronèse (coll. Pérez Simón) et Homme lisant une lettre à une femme de Pieter de Hooch (coll. Kremer) – qui souffre de la vision très personnelle du directeur des lieux. « Et si Rembrandt avait inventé le primitivisme ? », lance-t-il en juxtaposant le visage buriné du sublime Vieil homme en buste avec un turban de l’artiste avec un masque N’Tomo, Bamana (Mali) du XIXe siècle. Signalons enfin que cette collection « permanente » n’est accessible que si le visiteur s’acquitte d’un billet d’entrée pour l’une des deux expositions (10 euros) ou d’un billet jumelé pour les deux expositions (17 euros). 

LA PINACOTHÈQUE DE PARIS,

8, rue Vignon, 75008 Paris, tél. 01 42 68 02 01, www.pinacotheque.com tlj 10h30-19h30, le mercredi jusqu’à 21h30

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°341 du 18 février 2011, avec le titre suivant : N’en jetez plus !

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