Les expéditions parties à la recherche des restes de l’armée de Cambyse ou à la découverte des dinosaures dans le désert de Gobi ont eu un grand retentissement dans les médias, imposant du même coup le nom de Giancarlo Ligabue aux yeux du public. Les nombreuses missions de son Centre d’études et de recherches ont parfois été à l’origine d’expositions de grande valeur, comme \"Les trésors d’Atahualpa\", à Venise, en 1982, ou \"La terre des Moai : de la Polynésie à l’île de Pâques\", à Milan, cette année (lire le JdA n° 13, avril). Éditeur, paléontologue, archéologue, promoteur de manifestations culturelles et, plus récemment, homme politique, Giancarlo Ligabue revient sur sa fascination pour l’art primitif et dresse un premier bilan du Centre qui porte son nom, avant de présenter sa prochaine exposition, consacrée aux Mayas.
Que recherchez-vous dans l’art primitif ?
Giancarlo Ligabue : L’expression religieuse. Sur le plan esthétique, je suis fasciné par les distorsions opérées par les artistes "primitifs", par exemple quand ils sculptent des personnages dont la tête fait un tiers du corps. Dans toutes les civilisations, j’aime les débuts : les idoles cycladiques, les Vénus de Valdivia, les baby-faces olmèques, car l’art de ces périodes de formation est toujours chargé d’expression et de ferments.
Votre collection reflète-t-elle vos expériences sur le terrain ?
Oui et non. Non, parce que toutes les pièces de ma collection proviennent soit de collections préexistantes, soit ont été acquises chez Christie’s ou Sotheby’s. Tout ce que j’ai trouvé au cours des fouilles que j’ai dirigées a toujours été remis aux musées locaux. Récemment, au Turkménistan, nous avons découvert une cité du IIIe millénaire av. J.-C., située sur la route des oasis qui reliait l’Indoukouch à la Mésopotamie. Nous avons mis au jour une centaine de pièces (bronzes, ors, céramiques…), qui ont été transportées en Italie pour être restaurées.
Elles seront ensuite placées au Musée d’Ashkabad, la capitale turkmène. Oui, parce que l’émotion de la découverte me pousse à acquérir sur le marché le même type d’objet que ceux mis au jour au cours de mes fouilles. Je tiens à préciser que l’ensemble de ma collection est déclarée officiellement. Je possède des pièces provenant d’un peu partout dans le monde : d’Océanie, de Mésopotamie, de Méditerranée, d’Amérique précolombienne et d’Europe.
Quelles sont actuellement les recherches menées par le Centre d’études et de recherches Ligabue ?
Nous faisons des fouilles à Huancabamba, au Pérou. Nous ferons ensuite une étude de la région située au pied des montagnes de l’Amazonie bolivienne, et nous poursuivrons les recherches au Turkménistan.
Le gouvernement du Territoire du Nord de l’Australie m’a invité à effectuer un premier examen des peintures rupestres des Aborigènes, dont certaines sont considérées comme les plus anciennes du monde. En Polynésie, nos recherches se concentreront sur les Marquises, car certains des archéologues qui travaillent avec nous pensent que ces îles sont certainement le point de départ des Polynésiens qui ont rejoint l’île de Pâques. L’objectif que je me suis fixé est de faire comprendre qu’on ne peut réduire à l’"ethnique" ou au "folklore" tout ce qui n’est ni grec, ni romain, ni égyptien.
Les collectionneurs recherchent la beauté et les ethnologues ce qui fait sens dans l’étude d’une culture. Où vous situez-vous ?
Je crois être un collectionneur atypique, car je ne considère pas ma collection comme ma propriété exclusive. Le beau m’intéresse, mais il n’est pas mon seul but. Selon moi, les collections privées se doivent d’être à la disposition des scientifiques et du public. C’est pourquoi je m’apprête à déposer au Musée d’histoire naturelle de Venise environ 1 300 pièces archéologiques et ethnographiques. Puis, dans un proche avenir, c’est l’ensemble de ma collection qui sera ouvert au public, dans ma maison de Venise.
Mais pour répondre à votre question, je peux dire que parmi les objets que je préfère, il y a un vase très laid qui contenait du maïs, des noisettes et quelques menues choses qui devaient servir de viatique dans l’au-delà.
Quel est le bilan de l’exposition "La terre des Moai" ?
Nous avons accueilli 55 000 visiteurs. Cette affluence, très supérieure à nos prévisions, nous a conduit à prolonger l’exposition de trois mois. J’ai maintenant l’intention d’organiser une grande exposition, courant 1998, sur les Mayas, à Venise.
Elle présentera toute l’histoire de ce peuple, de l’origine jusqu’à l’arrivée des Espagnols. Elle ne se bornera pas à montrer des œuvres d’art, si extraordinaires soient-elles, mais présentera un point de vue interdisciplinaire sur tous les aspects de cette civilisation remarquable : de l’alimentation à la guerre, de l’écriture aux sacrifices humains, de l’astronomie aux modèles qui tentent d’expliquer sa décadence au IXe siècle de notre ère, à la fin de l’époque classique.
Pourquoi avoir choisi les Mayas et ne pas présenter d’autres grandes cultures moins connues ?
Je trouve impressionnant de découvrir que des sociétés aussi différentes de la nôtre que celle des Mayas ou des Rapa Nui (les indigènes de l’île de Pâques) ont été confrontées à – et bien souvent ne sont pas parvenues à résoudre – des problèmes proches de ceux que nous connaissons : l’écart grandissant entre les ressources et l’accroissement démographique, l’obligation de ne pas exploiter de manière insensée le milieu naturel dont dépend notre survie.
En ce qui concerne les Mayas, il ne faut pas oublier que sur le plan des conquêtes intellectuelles, ils ont devancé et dépassé tous les autres peuples de l’Amérique précolombienne. Ce choix a aussi été influencé par la conscience de combler une lacune. À ma connaissance, aucune exposition de haut niveau sur les Mayas n’a encore vu le jour en Italie.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
"On ne peut réduire au "folklore" tout ce qui n’est ni grec, ni romain, ni égyptien"
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : "On ne peut réduire au "folklore" tout ce qui n’est ni grec, ni romain, ni égyptien"