ESSEN / ALLEMAGNE
Celui qui fut le premier musée d’art moderne d’Europe a rouvert ses portes au moment où Essen est capitale européenne de la culture. Conçu par un Britannique, le nouveau site est à l’image de son environnement : sérieux et robuste.
En général, les musées s’agrandissent mais ne remplacent pas », relève le très sérieux architecte David Chipperfield. C’est pourtant ce que vient de faire le Museum Folkwang à Essen, en Allemagne. Mais il a ses raisons.
Essen est au centre de la Ruhr. La région porte de nombreux stigmates de l’histoire. Avec ses mines de charbon et ses usines sidérurgiques, elle fut pendant près d’un siècle le cœur industriel de l’Allemagne. Et comme dans le nord de la France, le paysage est façonné par les terrils, les puits et les hauts-fourneaux. La monumentalité des constructions marque durablement l’environnement. Avec la désaffection de cette filière dans les années 1960, l’activité lourde s’en est allée, mais les sites industriels sont toujours là. Aujourd’hui, on tente de donner une seconde vie, non sans succès, à ce patrimoine bâti, comme le Zollverein, dans la banlieue d’Essen.
À ces traces d’une époque révolue du travail des hommes s’ajoutent les destructions de la guerre. Les Alliés ont davantage lâché leurs bombes sur les villes que sur les usines, ayant en tête la reconstruction de l’Allemagne. Aussi au sortir du conflit, le chapelet de villes qui s’étale d’est en ouest le long de la rivière Ruhr, un affluent du Rhin, au point de constituer une vaste conurbation polycentrique, n’est-il qu’un vaste champ de ruines. Il a fallu rebâtir en toute hâte des édifices fonctionnels et sans grâce, dans un urbanisme fragmenté qui enlève tout charme à ces cités.
De la création en 1922 à la réouverture en 2010
Le Museum Folkwang épouse peu ou prou l’histoire tourmentée de l’Allemagne. Le musée et son premier bâtiment ont été créés en 1922, à partir d’un important ensemble de tableaux modernes constitué par le collectionneur et mécène Karl Ernst Osthaus et présenté dès 1902 à Hagen, à une cinquantaine de kilomètres d’Essen. Poursuivant sa politique d’acquisition, il est alors l’un des plus grands musées d’art d’avant-garde, avec plus de mille quatre cents œuvres. Cet « art dégénéré » ne convient pas aux nazis, comme on le sait, qui détruisent ou vendent la collection.
À ce premier traumatisme s’ajoute un second, la destruction du site par les bombardements alliés. Un bâtiment est reconstruit dans les années 1950, puis une extension est bâtie dans les années 1980. C’est cette extension qui a été détruite pour laisser place à un nouvel édifice, objet d’une compétition architecturale. Il a été officiellement inauguré le 30 janvier 2010, alors que ce que l’on appelle « l’ancien musée » (celui de 1960), relié au nouveau, ne rouvrira ses portes qu’en avril.
Il faut dire que le temps était compté. En avril 2006, Essen et toutes les villes de la Ruhr sont désignées pour être « capitales européennes de la culture en 2010 », de même qu’Istanbul et Pécs (Hongrie). Quatre mois plus tard, la fondation Krupp (lire encadré) décide de financer la reconstruction du musée avec comme objectif une ouverture en 2010. La compétition et la construction ont été réalisées en un temps record.
Un bâtiment de béton et de verre construit pour durer cent ans
La ville a choisi une architecture ultraclassique et sobre, qui privilégie l’intégration du musée dans son milieu urbain, l’harmonie avec l’ancien musée et le confort de la visite, au détriment d’un bâtiment futuriste comme peut l’être le Guggenheim de Bilbao, par exemple. L’ensemble se présente de l’extérieur comme d’immenses parallélépipèdes de béton et de verre, le long d’une grande avenue et dans le prolongement du bâtiment de 1960. Par endroits, les élévations sont recouvertes de plaques de verre translucides faiblement colorées en vert et supposées jouer avec la lumière du jour. Si ce n’est la monumentalité, l’orthogonalité et le dépouillement du site font écho à l’environnement urbain immédiat, peu amène. Lors de la conférence de presse d’ouverture, le directeur du musée affirmait que le bâtiment avait été construit pour durer au moins un siècle. On a toutes les raisons de le croire. Il s’en dégage une impression de robustesse bien caractéristique du made in Germany.
À l’intérieur, un semblable sentiment d’austérité et de solidité prévaut, et pourrait même congeler le public si l’architecte ne s’était attaché à soigner l’expérience des visiteurs. Chipperfield a tenu à ce que ceux-ci puissent facilement s’orienter. Le Britannique connaît son affaire. Préféré à l’Anglo-Irakienne Zaha Hadid, il a participé à la reconstruction du Neues Museum de Berlin et travaille actuellement, entre autres, à l’extension du musée Saint-Louis aux États-Unis et au Kunsthaus de Zurich. Son portfolio d’édifices culturels compte au moins une vingtaine de réalisations dans le monde entier.
À Essen, toutes les surfaces d’exposition sont de plain-pied, reléguant quelques bureaux à l’étage. On prend ainsi facilement la mesure des lieux, d’autant que le bâtiment est très lisible. Le vaste hall d’accueil sépare le site en deux. La partie septentrionale (près de 1 400 m2) est dévolue aux expositions temporaires tandis qu’au midi se déploient les salles des collections permanentes (5 600 m2 avec l’ancien musée). L’accès à l’ancien musée s’effectue par deux allées flanquées de baies vitrées, réalisant une forme de boucle dans le parcours. Les vastes volumes intimidants sont rompus par de nombreuses échappées, vers des cours intérieures ou l’extérieur du musée. Par endroits, les parois vitrées plongent vers les petits immeubles d’habitation qui jouxtent le bâtiment, ramenant le regard vers des zones familières. Inutile de préciser que le lieu offre tous les services attendus d’un musée d’aujourd’hui : boutique, salle de consultation multi-média et restaurant gastronomique (Vincent & Paul, dont on ne sait si ce sont les prénoms des cuisiniers ou de Van Gogh et Gauguin).
L’éclairement est une autre grande réussite du Museum Folkwang. Les nombreuses baies vitrées et plus encore les ouvertures dans les plafonds apportent une remarquable lumière naturelle, même par un triste jour d’hiver. En revanche, les salles dédiées aux arts graphiques bénéficient d’un éclairage artificiel adapté. On l’aura compris, tout est fait pour que cet écrin magnifie les œuvres exposées… auprès d’un public germanophone ! Étrangement pour un musée emblématique de la capitale culturelle européenne, les cartels sont uniquement en allemand. Il faudra se contenter de la seule délectation des œuvres si l’on ne parle pas la langue de Goethe.
Une collection d’art français et allemand du XIXe et XXe siècle
De ce point de vue, le musée recèle de nombreux trésors. Il n’a évidemment pas été possible de reconstituer ce que l’on appelle ici en toute simplicité « le plus beau musée du monde », c’est-à-dire la collection dispersée par les nazis. Quelques œuvres ont cependant été retrouvées et leurs nouveaux propriétaires ont accepté de les prêter le temps d’une exposition temporaire jusqu’en juillet. On y voit plusieurs Kirchner et Kokoschka, un Kandinsky lyrique d’avant le Bauhaus, quelques Chirico. En revanche, La Vague de Courbet, La Carrière de Bibémus de Cézanne, Le Bassin aux nymphéas de Monet, le Portrait d’Armand Roulin de Van Gogh (voir ci-contre) sont quelques-uns des chefs-d’œuvre de la collection permanente du XIXe présentée dans le vieux bâtiment.
L’art d’après-guerre est l’autre pilier des collections, comme en témoigne la sélection proposée dans les espaces permanents du nouveau bâtiment. L’exposition inaugurale est en quatre volets. Les salles graphiques montrent un choix de portraits puisés dans le très vaste fonds photographique, Thomas Ruff y figure en bonne place, et d’affiches issues des trois cent quarante mille posters de 1880 à nos jours.
Après tout ce qui vient d’être dit sur le classicisme architectural, on ne s’étonnera pas que l’accrochage des peintures contemporaines relève essentiellement du minimalisme américain heureusement agrémenté de quelques tableaux colorés. Sam Francis, Franz Kline ou Josef Albers voisinent ainsi avec un superbe Rothko et de non moins magnifiques Gerhard Richter (natürlich). L’accrochage est tiré au cordeau, sans la moindre fantaisie. Comme le Mondrian qui orne l’un des murs.
La Ruhr industrielle n’est peut-être pas la première destination que l’on peut avoir en tête pour les vacances. Mais l’ouverture du Museum Folkwang avec sa belle collection moderne et contemporaine, et les festivités de Ruhr 2010, en particulier le parcours de visite dans la friche du Zollverein, sont l’occasion de remettre en cause ses préjugés, le temps d’un week-end.
1902
Le mécène Karl Ernst Osthaus crée un musée à Hagen (Westphalie) pour exposer ses collections.
1922
À la mort d’Osthaus, transféré à Essen (Ruhr).
1932
Paul Sachs, cofondateur du MoMA (1929), le qualifie de « plus beau musée du monde ».
À partir de 1933
Vente et confiscation de nombreux chefs-d’œuvre d’art contemporain par les nazis.
1960
Reconstruction du musée, considéré comme un des édifices d’après guerre le plus réussi.
1983
Extension du musée.
2006
La fondation Krupp décide de financer la construction d’un nouveau bâtiment, dessiné par David Chipperfield.
2010
Inauguration du bâtiment. La Ruhr, capitale européenne de la Culture.
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Museum Folkwang dans son nouvel écrin
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Abonnez-vous dès 1 €Infos pratiques. Museum Folkwang, Essen (Allemagne), du mardi au samedi, de 10 h à 18 h, le vendredi jusqu’à 22 h 30. Tarifs : 5 et 3,50 €. www.museum-folkwang.de
Deux expositions phares en 2010. « Le plus beau musée du monde : le Museum Folkwang avant 1933 », du 20 mars au 25 juillet, présentera les œuvres confisquées par les nazis à partir de 1933 ; et « Images d’une métropole, les impressionnistes à Paris », du 2 octobre 2010 au 30 janvier 2011.
La Ruhr, capitale européenne de la Culture en 2010. L’accent est mis sur la diversité et l’authenticité de cet ancien bassin sidérurgique devenu une métropole en plein essor. Plus de 2 500 manifestations culturelles sont prévues dans 53 villes (dont Essen, Dortmund et Duisburg) mettant à l’honneur le patrimoine industriel ainsi que les beaux-arts et le spectacle vivant.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°622 du 1 mars 2010, avec le titre suivant : Museum Folkwang dans son nouvel écrin