Le Musée de l’histoire des Juifs polonais connaît une grande affluence. Le numérique y est très présent.
VARSOVIE - Le succès est au rendez-vous. Ouvert en 2013 mais inauguré le 28 octobre en grande pompe et en présence des présidents de Pologne et d’Israël, le Musée de l’histoire des Juifs polonais est devenu depuis peu un site touristique majeur à Varsovie. Situé au cœur de l’ancien ghetto (dont il ne reste pratiquement rien), il a même droit à une station de tramway qui porte son nom. L’architecture extérieure, un bloc rectangulaire coupé d’une fente, n’est pas spectaculaire mais l’intérieur surprend par ses formes ondulantes, presque organiques.
La surprise principale toutefois vient de la foule qui déambule en permanence dans le musée – les organisateurs tablent sur un demi-million de visiteurs pour l’année de l’ouverture.
Une présentation de l’histoire des Juifs en Pologne
Certes, la présence de dizaines de groupes d’adolescents israéliens, pour lesquels le musée est déjà un passage obligatoire dans leur « Grand Tour » de Pologne, pays où la communauté juive fut la plus importante d’Europe, était prévisible. L’était moins l’affluence du public local, qui suit studieusement le cheminement un peu complexe. Les visites sont conduites par des jeunes gens, connaissant sur le bout des doigts leur matière, et qui choisissent avec beaucoup d’attention chaque mot. Ces guides, de même que les nombreux documents descriptifs offerts aux visiteurs, semblent extrêmement soucieux de rester dans le cadre du « politiquement correct ».
De fait, c’est le moins qu’on puisse dire, le sujet est délicat. Il ne s’agit pas d’un monument commémoratif pour l’Holocauste, mais d’une présentation de l’histoire des juifs en Pologne sur une période qui s’étale sur plus d’un millénaire. L’enjeu principal est de montrer le tissage entre les destins des deux peuples, avec l’ambition de ne rien enjoliver. Ambition résumée en une phrase, en quelque sorte la devise du lieu : « Un musée qui pose des questions courageuses. » Un autre symbole est le nom du musée, « Polin », reprenant la prononciation du mot « Pologne » en yiddish.
Le visiteur s’engage dans un parcours divisé en huit sections que l’ethnologue américaine Barbara Kirshenblatt-Gimblett, responsable de l’exposition permanente, considère comme un « théâtre de l’Histoire ». Une expression appropriée, car la sensation d’assister à un spectacle s’installe dès l’entrée. On pourrait même parler d’une œuvre d’art totale virtuelle tant le musée fait appel massivement aux nouveaux médias pour reconstituer ce passé et l’accompagner d’outils pédagogiques efficaces. On y trouve des photos, des films, des reproductions, des fac-similés, mais surtout des ordinateurs et des tablettes qui permettent aux spectateurs de se renseigner et d’échanger avec les spécialistes. Sans remettre en question l’efficacité de ce dispositif, qui se veut précurseur des musées futurs du même type, le public se voit sans cesse bombardé par une information très dense mais éclatée qui rend difficile une vision claire de l’ensemble.
Un musée virtuel, destiné aux jeunes générations
De même, l’absence presque totale d’objets donne à la visite un aspect immatériel, presque surréaliste. Le visiteur a parfois l’impression d’assister à un film historique qui défile devant lui, avec des moments magiques et d’autres cauchemardesques. Magique, à l’entrée, la ravissante forêt, censée annoncer, on ne saura pas comment, l’arrivée des premiers Juifs dans ce pays au Xe siècle. Féerique, balayée par des rayons de lumière, la maquette de Kazimierz, l’ancien quartier juif de Cracovie, fondé en 1335 par Casimir le Grand. Splendide, la réplique d’un plafond d’une synagogue en bois du XVIIIe siècle de Gwozdziec, sans doute un moment fort du parcours. Fascinante, la reconstitution d’une rue juive du début du XXe siècle avec ses affiches politiques qui vont des partis religieux aux mouvements sionistes en passant par le parti socialiste (le Bund). Cauchemardesque, enfin, l’autre moment fort qui, à l’aide de nombreuses photos, raconte de façon très digne le destin tragique du ghetto, sa résurrection et sa destruction finale.
On peut se demander si cette manière de présenter l’Histoire n’a pas comme avantage principal celui de s’adresser directement à la jeune génération pour laquelle la réalité virtuelle ou le zapping ne posent plus aucun problème. Car le véritable rôle de ce musée est de former ceux qui affronteront demain l’antisémitisme qui n’a pas complètement disparu en Pologne malgré tout ce passé tragique. Ce n’est qu’à cette condition que le musée deviendra le lieu « qui pose des questions courageuses ».
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Mille ans d’histoire
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Abonnez-vous dès 1 €6, rue Anielewicza, Varsovie, Pologne, tél. 48 22 471 03 30, www.jewishmuseum.org.pl, mercredi-lundi 10h-18h, samedi 10h-20h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Mille ans d’histoire