Après des années d’un triste désordre marquées par une succession de directeurs, des infiltrations d’eau par les toitures, des expositions médiocres, une absence complète d’information et une atmosphère d’inertie, le Musée du Prado semble soudainement renaître. Dans un entretien, Miguel Zugaza, son nouveau directeur, expose sa politique pour l’institution.
MADRID - Un vent nouveau souffle dans les voiles du Musée du Prado. Cet élan semble issu de la proposition radicale de restructuration de l’institution présentée en mars 2001 par l’énergique président du conseil d’administration du musée, l’ex-ministre socialiste de la Défense, Eduardo Serra. S’appuyant sur un rapport établi par le Boston Consulting Group, Eduardo Serra a proposé de changer le statut juridique du musée pour le transformer en établissement semi-autonome, comme la télévision publique espagnole ou le service postal récemment modernisé. Le musée pourrait ainsi mieux maîtriser son propre financement, embaucher et licencier son personnel sans les contraintes imposées par le règlement de l’administration publique, et recruter des conservateurs, plus particulièrement des étrangers, sans que ceux-ci n’aient à passer les examens de l’administration espagnole.
Les premières réactions émanant du musée, des universités – jusqu’à présent le principal vivier de conservateurs du musée –, de l’administration publique et des parlementaires socialistes ont été extrêmement hostiles. Nombreux sont ceux qui estiment que l’appel fait par Eduardo Serra à une société américaine d’audit était totalement inapproprié. D’autres reproches plus sérieux concernent le fameux rapport, qui n’a pas pris en compte les différents modèles de musées européens et américains existants. Ce projet de transformation du statut juridique du musée a ainsi été officiellement suspendu par le ministre de la Culture espagnol pour permettre une plus grande réflexion. Depuis, le directeur du Prado, Fernando Checa, a démissionné en raison de divergences d’opinions avec Eduardo Serra.
La porte était alors ouverte pour Miguel Zugaza, âgé de trente-huit ans, ancien directeur adjoint du Musée Reina-Sofía à Madrid puis directeur du Musée des beaux-arts de Bilbao, une personnalité hautement considérée dans le milieu des musées espagnols. Travaillant en parfaite harmonie avec Eduardo Serra, il a introduit au cours de ces derniers mois une série d’initiatives – ouverture le dimanche après-midi, audio-guides et bureaux d’information – lesquelles, si elles paraissent minimes à l’échelle d’autres musées internationaux, sont révolutionnaires pour le Prado. Par ailleurs, Miguel Zugaza supervise un grand projet d’agrandissement conçu par Rafael Moneo, qui s’achèvera en 2004 (lire encadré). De plus, Gabrieli Finaldi vient d’être embauché au poste de directeur adjoint de la conservation et de la recherche, poste pour lequel le musée a contourné les conditions normales requises par l’administration en offrant un contrat spécial et en créant une nouvelle fonction. Miguel Zugaza nous présente dans un entretien sa politique pour le Musée du Prado.
Le Prado semble enfin avoir une politique à long terme. Comment imaginez-vous le musée dans vingt ans ?
Je compte bien vieillir avec le musée et je m’inspire de modèles comme Philippe de Montebello à New York, qui non seulement est au Metropolitan Museum depuis vingt-cinq ans, mais aussi continue à y accomplir un travail exceptionnel. Il faut également nous fixer de toute urgence des objectifs à court terme pour obtenir des résultats rapides, et le projet d’agrandissement qui sera achevé en 2004 y joue un rôle fondamental. Une fois ce développement réalisé, on pourra s’attaquer à toutes les autres questions. D’une façon plus générale, notre but vise à mieux “communiquer” la collection au public, et j’emploie ce mot dans un sens plus profond que superficiel. Je veux attirer un public espagnol plus constant et changer l’attitude des Espagnols envers le Prado. Pour l’heure, c’est un lieu sacré qu’ils ne visitent en réalité pas très souvent. Dans vingt ans, j’aimerais que la société perçoive le musée comme une source commune de connaissance et de culture.
Pourquoi la tentative de changer le statut juridique du musée a-t-elle échouée ?
Je ne pense pas qu’elle ait échoué. Il y a eu beaucoup de confusion à ce sujet. Nous sommes toujours en discussion et nous cherchons toujours le meilleur modèle possible. Le musée doit conserver un statut public, mais il doit aussi pouvoir s’autofinancer dans une certaine mesure, prendre des décisions en matière de recrutement du personnel et pour les questions de parrainage. Selon moi, son statut changera inévitablement. Après tout, cela a été le cas pour d’autres musées européens, aux Pays-Bas par exemple. Nous avons besoin d’obtenir un consensus à l’intérieur et à l’extérieur du musée – personnel, administration publique, Parlement, monde de l’art... – et nous présenterons ensuite le projet au moment opportun. Je ne sais pas si cela aura lieu à court ou à long terme, mais il serait tout simplement stupide que le Prado reste figé et immobile. À cet égard, Eduardo Serra a effectué un pas important en faisant connaître l’urgence d’introduire des changements au sein de cette institution.
En admettant la nécessité de ces changements, ceci conformément à l’optique américaine, on peut se demander si le Prado ne risque pas de perdre son caractère de musée espagnol ?
Il ne faut pas nécessairement voir les choses sous cet angle. Le Prado renferme essentiellement une collection internationale, même si son cœur est espagnol. Les monarques espagnols ont collectionné des œuvres du monde entier, dotant ainsi cette collection d’une qualité exceptionnelle, composée à la base de Pierre Paul Rubens, Titien, Diego Velázquez et Francisco de Goya. Le caractère du Prado vient de sa collection et non de son environnement. En outre, le mode d’exposition évolue au fur et à mesure que les goûts changent et que l’histoire de l’art est réinterprétée. De plus, les musées apprennent les uns des autres. Nous regardons par exemple la manière dont un autre musée expose sa collection de Pierre Paul Rubens. Je ne suis pas d’avis qu’il faille établir des distinctions de catégories, même si le Prado possède par nature une collection plus historique que moderne ou encyclopédique. Lorsque nous présentons Pierre Paul Rubens, nous le montrons comme un artiste venu travailler en Espagne pour la cour, dans un contexte aussi bien historique qu’esthétique.
Le musée lèvera-t-il plus de fonds auprès du secteur privé, conformément à votre accord actuel avec la compagnie d’assurances Winterthur ?
Oui, cet accord est excellent et nous envisageons de constituer un groupe de dix bienfaiteurs, privés et institutionnels. Grâce à leurs dons, ils appuieront des secteurs du musée comme les expositions, la pédagogie, la mise en ligne de toute la collection et la mise en place d’un programme d’expositions itinérantes à travers l’Espagne à partir d’œuvres de la collection permanente qui ne sont pas actuellement exposées. L’intérêt des sponsors potentiels est énorme et nous espérons avoir formé ce groupe d’ici à la fin de l’extension du musée. Notre intention n’est toutefois pas de “vendre” le Prado, mais de procéder à un renouveau avec dignité et de manière convenable.
L’idée de reconstituer la salle des Reines, qui faisait partie du palais Habsbourg du Buen Retiro, aujourd’hui Musée militaire, près du bâtiment principal, sera une entreprise historique coûteuse.
Oui, il s’agit d’un projet à long terme distinct des plans d’agrandissement de Rafael Moneo. Le bâtiment principal actuel est en mauvais état et nécessite de nombreux travaux. Cependant, outre la reconstitution historique de cette salle, nous gagnerons beaucoup d’espace pour exposer la collection permanente. Nous envisageons également de relier ce bâtiment au Casón del Buen Retiro adjacent, où nos peintures du XIXe siècle sont encore exposées, et qui est actuellement en restauration. Reste encore à décider si cet espace continuera à être utilisé à cet effet. L’accrochage de nos 3 000 peintures post-1800 – pour le Prado, toutes les œuvres situées à partir de la mort de Goya – doit être revu afin de les rendre plus accessibles au public.
La nouvelle politique du Prado en matière d’exposition semble se concentrer davantage sur la collection.
Nous organisons actuellement des expositions soit à grande échelle soit plus ciblées, mais je ne veux pas être trop rigide en ce qui concerne leurs formats. Le nouvel espace nous permettra de monter des expositions plus importantes et plus internationales, et de rentrer dans le circuit des grandes expositions. Je pense également que notre devoir est de présenter au public espagnol l’art qu’il ne pourrait pas voir autrement, d’où la prochaine exposition “Vermeer et ses contemporains” qui, à mes yeux, invite l’un des grands maîtres du XVIIe siècle dans la “maison de Velázquez”. Dans la même optique, nous travaillons sur une exposition consacrée à Manet pour l’automne prochain, un artiste peu représenté en Espagne mais intimement lié à l’histoire de la collection. J’aimerais que nos expositions soient à la fois intéressantes et agréables, mais je ne les conçois pas comme de simples attractions pour visiteurs. Pour finir, les expositions sont d’excellents outils d’étude, comme on pourra clairement le voir avec la prochaine exposition sur Le Titien.
Musée du Prado, parc del Prado, Madrid, tél. 34 91 33 28 00, tlj sauf lundi 9h-19h, http://museoprado.mcu.es
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Miguel Zugaza : A Madrid, le Musée du Prado engage une mutation
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Abonnez-vous dès 1 €Le Musée du Prado accueillera plusieurs expositions en 2003-2004 : “Peintures florales espagnoles à l’âge d’or�? jusqu’au 2 février ; �?Vermeer et les intérieurs néerlandais�? du 28 février au 18 mai ; �?Titien�? du 2 juin au 1er septembre ; �?Manet au Prado�? du 6 octobre au 11 janvier 2004 ; �?L’art du portrait espagnol du Greco à Picasso�? du 2 février au 5 mai 2004.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°163 du 24 janvier 2003, avec le titre suivant : Miguel Zugaza : A Madrid, le Musée du Prado engage une mutation