Michel Jamet a restauré une grande partie du mobilier du château de Sceaux. Fauteuils, médaillons, cartel en marqueterie Boulle et tables à gibier Louis XIV sont passés entre ses mains. Tâche presque routinière pour cet ébéniste qui, depuis vingt ans, a mis son savoir-faire au service de musées prestigieux et de collectionneurs renommés.
PARIS - Rien pourtant ne le prédestinait à la carrière d’ébéniste. Issu d’une famille d’agriculteurs du centre de la France, il passe son CAP de menuisier-charpentier. Durant l’été, il exécute des petits travaux chez le professeur de catéchisme des enfants d’un restaurateur versaillais, qui l’engage le temps d’un stage. Celui-ci se transforme en dix années de formation. Versailles, dans les années 60, vit l’époque des grands travaux de Trianon. Michel Jamet se forme l’œil autant que les mains.
En 1977, il reprend rue des Cloys, dans le XVIIIe arrondissement, le fonds d’un ébéniste qui part à la retraite, et s’installe à son compte. Progressivement l’atelier se développe, mais reste une structure réduite : sept personnes, Michel Jamet, sa femme, quatre compagnons et un apprenti. "Je suis un artisan, pas le président directeur général d’une énorme compagnie", aime-t-il souligner. Mais il n’est pas un artisan comme les autres, puisqu’il vient d’être chargé de réorganiser au sein des Gobelins la section mobilier de l’IFROA – Institut français de restauration des œuvres d’art – fermée depuis dix ans. Expérience pratique, histoire de l’art, apprentissage de l’anglais et stage à l’étranger sont à l’ordre du jour.
Rarement pour les marchands
Michel Jamet travaille pour des musées (Orsay, Versailles, J.-Paul Getty Museum…), des particuliers (Hubert de Givenchy), mais rarement pour des marchands. Ses préférences vont aux XVIIe et XVIIIe siècles français, et notamment au mobilier dit Boulle."Il y a une dizaine d’années, peu d’ateliers acceptaient de restaurer ce type de meubles. Composés de multiples matériaux aux réactions divergentes – sous l’effet de la chaleur, le laiton s’allonge tandis que le bois se rétracte – ces pièces étaient complexes à manier." Avec l’aide de compagnons spécialisés, il s’engage alors dans ce créneau délaissé. Le Getty fait appel à lui lorsque l’écaille et l’ébène de son mobilier Boulle nécessite des soins d’urgence.
Adepte d’une restauration-conservation, Michel Jamet dénonce la restauration-remise à neuf. "Il y a 25 ans, rappelle-t-il, lorsqu’on restaurait un meuble, on remplaçait systématiquement toutes les parties endommagées. On ponçait même les marqueteries pour les aplanir. On gommait son histoire. On le rendait presque neuf. Encore aujourd’hui, une grande partie des marchands travaillent selon ces principes. C’est pourquoi je préfère m’abstenir de restaurer leur marchandise". "La restauration est pour moi un métier de l’ombre. Je ne dois pas laisser ma marque sur un bureau à cylindre ou une table à jeu, mais m’appliquer à rendre ces meubles les plus semblables possible à leur état d’origine." Il y a quelques années, un client lui confie deux fauteuils estampillés Sené. Michel Jamet découvre sous plusieurs couches d’enduit une peinture à la colle authentiquement XVIIIe, d’un délicat vert d’eau qui n’était malheureusement pas du goût du propriétaire. Michel Jamet refuse de décaper. L’affaire a traîné trois ans. Mais, finalement, les fauteuils repartent chez leur propriétaire arborant leur couleur d’origine…
Des copies pour se défouler
"Œuvrer sur les créations d’autrui, ne jamais laisser sa trace, est parfois frustrant", confie Michel Jamet, qui "se défoule en faisant des copies". Hubert de Givenchy, propriétaire d’une armoire Boulle, désirait acquérir sa jumelle en contrepartie (fond laiton et marqueterie écaille). Jamet la fait réaliser. Deux mille heures de travail pour une pièce digne du règne de Louis XIV, sans aucune confusion possible pourtant. Les initiales de Hubert de Givenchy ont été incisées dans le laiton de la copie.
On confie également à Michel Jamet des prototypes quelque peu étonnants, comme ce mannequin anatomique réalisé en 1799 par Félice Fontana pour Napoléon Ier. Avant d’être présenté, l’année dernière à l’exposition "L’âme au corps" au Grand Palais, il a subi une intervention rue des Cloys. Parrainée par un professeur de médecine, l’équipe de Michel Jamet a restauré et remis en place les quelques 300 éléments de bois (reins, côtes, intestins, muscles...) du mannequin.
L’afflux de commandes est cependant contrarié par le manque de matériaux et d’outils appropriés. Les bois précieux se font rares. La Convention de Washington sur la protection des espèces interdit désormais des exploitations comme celles de l’acajou de Cuba ou du palissandre de Rio. Les tortues étant protégées, l’écaille ne sera bientôt plus utilisable. Les outils autrefois façonnés à la main par les ébénistes sont remplacés par des fournitures réalisées mécaniquement. "Une râpe faite à la main effectue un travail d’une qualité supérieure à celui d’une râpe produite d’une manière mécanique."
Michel Jamet refuse le titre d’expert. Lorsqu’on fait appel à lui, lors de datations ou d’attributions délicates, il se contente de "donner son avis." "Je ne signe pas de certificat. Ce n’est pas mon métier. Je suis ébéniste-restaurateur. C’est tout."
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Michel Jamet à l’ombre du château
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Michel Jamet à l’ombre du château