Matthieu Pinette, directeur des musées d’Amiens présente Le Gigot (vers 1880) de Théodule Ribot (1823-1891).
Acquis par les musées d’Amiens en 1998, avec l’aide du FRAM (Fonds régional d’acquisition pour les musées) de Picardie, ce tableau est l’œuvre d’un artiste dont la place dans l’histoire de la peinture en France au XIXe siècle doit certainement être réévaluée.
Peintre réaliste, Théodule Ribot se distingue de ses confrères par une utilisation systématique et déterminée du clair-obscur, inspirée de Ribera et des travaux des grands Napolitains du XVIIe siècle. Il use avec fermeté des effets de contraste pour obtenir une force dramatique que certains critiques contemporains lui reprocheront. On connaît les tableaux de genre du peintre baignés dans cette atmosphère enténébrée, mystérieuse, inquiétante et intime à la fois.
L’œuvre de Ribot peintre de natures mortes est certainement moins connu. C’est peut-être pourtant dans ce répertoire que l’artiste se révèle avec ses productions les plus radicales. On peut citer plusieurs toiles témoignant de ce type de recherche : le Musée Hébert à La Tronche (Isère) ou le Musée Van Gogh d’Amsterdam, notamment, conservent de beaux exemples de ce thème.
Dans la peinture d’Amiens, Ribot place un gigot, seul, dressé contre le fond sombre. Le quartier de viande, blanc rosé, aux reflets diaprés de bruns, bleus et rouges, se détache comme sur un abîme. Cette étrange figure, triviale et macabre à la fois, se confond presque avec quelque tête monstrueuse et cornue, dont l’œil rond et vide serait constitué par l’os coupé. Magnifiquement peinte d’une touche libre et alerte, dans une matière épaisse, cette image spectrale, fascinante et repoussante, confine à l’expressionnisme abstrait.
Ce tableau si singulier est un extraordinaire témoignage du talent d’un artiste reconnu par les grands novateurs du temps, de Boudin à Monet, mais dont le principal défaut est sans doute de ne pas être assez séduisant. Il faudra cependant bien se résoudre un jour à mieux le regarder. Ainsi la toile d’Amiens n’est-elle pas sans faire écho aux travaux similaires d’un Goya ou d’un Géricault. Elle résonne aussi avec Bacon, dont le Musée de Picardie présente justement le Portrait de Jacques Dupin, où se rencontre la même obsession du traitement des chairs et des carnations, avec cette volonté d’en proposer une lecture picturale sublimée.
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Matthieu Pinette
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Matthieu Pinette