Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une œuvre de son musée qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître du public. Marie-Claude Valaison, conservateur du Musée des beaux-arts Hyacinthe-Rigaud et du Musée des monnaies et médailles de Perpignan, a sélectionné Le Retable de la Loge de Mer.
Ce panneau peint de grandes dimensions (3,60 x 2,2 m) est l’une des œuvres majeures d’un musée qui en conserve de très importantes : belle collection de portraits par Rigaud (dont le fameux Autoportrait au Turban), de sculptures, et d’une célèbre peinture de Maillol (Jeune fille de profil), trois beaux portraits de Mme de Lazerme par Picasso, faits à Perpignan, dans les murs mêmes de cet hôtel particulier où la ville allait transférer le Musée des beaux-arts Hyacinthe-Rigaud.
La collection de peinture gothique catalane, composée de fragments de retables, est cependant particulièrement éblouissante, et notre coup de cœur se porte naturellement sur l’œuvre la plus étonnante de cette collection. Ce grand panneau est tout ce qui reste d’un retable installé dans la chapelle de la Loge de Mer de Perpignan. Celle-ci se trouvait au rez-de-chaussée de la Loge, mais elle fut détruite en 1752, lorsque le maréchal de Mailly, gouverneur du Roussillon, la transforma en salle des fêtes. Seule la partie centrale du retable a été conservée, et mise à l’abri à l’église Saint-Jacques de Perpignan. Dès l’ouverture du musée, en 1830, les maires et conservateurs successifs n’ont eu de cesse que d’y faire déposer ce retable. Pendant plus de cent vingt ans, évêché et mairie ont échangé une abondante correspondance, dont nous extrayons quelques morceaux choisis datés de 1845 : “Car enfin où en serions-nous si tous les objets d’art ou d’antiquité qui existent dans les églises pouvaient être revendiqués pour enrichir les musées ?”, à quoi la ville répond : “Il [le retable] figurerait infiniment mieux au musée où on l’apprécierait... [et où] des soins intelligents le préserveraient de la destruction dont il est menacé !” La polémique prend fin le 5 septembre 1957 : le retable est déposé au musée, et le jour de ce dépôt, le curé de l’église l’inscrit... sur le registre des décès de sa paroisse ! Cette œuvre est partagée en deux parties par une inscription – en langue catalane – qui sépare la prédelle de la partie supérieure : “En l’année 1489, fut fait le présent retable, étant consuls de Mer les honorables François Pinya, bourgeois, et Jean Garau, marchand, de la présente ville de Perpignan.”
Cette inscription donne donc la date de réalisation de ce retable, et le nom des commanditaires. Il a été commandé pour célébrer le centenaire de la fondation de la Loge de Mer, par les deux consuls de Mer de Perpignan. Le Consulat de Mer ne s’occupe que du commerce maritime et correspond à ce qui est, de nos jours, la chambre de commerce, le tribunal des prud’hommes, mais aussi une bourse d’échanges consacrée aux affaires maritimes.
La prédelle décrit, de façon tout à fait symbolique (la mer n’a jamais baigné les pieds du bâtiment, malgré une légende tenace à Perpignan), l’activité des échanges maritimes, et le rôle de la Loge de Mer, figurée en bas à droite, dans son état primitif, avant son agrandissement par Charles Quint. Un port tout à fait idéalisé (qui est le symbole de Collioure) abrite des barques catalanes avec leur voile latine, mais aussi des caravelles pour le commerce de haute mer : les marchandises sont déchargées tandis que les marchands devisent sous les arches de la Loge de Mer. À gauche, avant la création de la Loge, seuls les saints du ciel pouvaient venir en aide aux marins : et l’on voit ici saint Nicolas de Bari secourant un navire pris dans la tempête, et que les marins implorent.
La partie supérieure est consacrée à l’action de grâces rendue à Dieu sous sa forme trinitaire, dans une mandorle. Tout autour, des personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament, et le Tétramorphe aux quatre angles, sont vus à mi-corps sur de petits nuages, et tiennent un phylactère, sur lequel des inscriptions en latin rappellent aux négociants leurs devoirs d’honnêteté !
Si nous connaissons très bien l’histoire et les tribulations de ce retable, nous ne savons pas qui l’a réalisé. L’utilisation de l’or et la façon de le traiter qui rappelle tantôt les cuirs de Cordoue, tantôt les pierreries et lourdes broderies enchâssés dans les somptueuses étoffes des vêtements, est assez caractéristique de l’art gothique catalan. Mais les diverses influences stylistiques sont très lisibles : italiennes (ou avignonnaises), françaises, bourguignonnes. En 1489, Perpignan fait partie de la couronne d’Aragon où les ateliers de Valence et Barcelone sont très vivants. Nous pensons donc à un atelier valencien, et à un peintre qui a bien connu et pratiqué ce style qu’on a appelé le gothique international, plus précisément à Jacomart-Reixach et renvoyons à deux œuvres de cet artiste conservées aux musées d’Amiens et de Lille. Ce panneau peint pourrait être l’œuvre d’un artiste issu de cet atelier...
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Marie-Claude Valaison
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : Marie-Claude Valaison