Àhauteur de Makhoul, à 130 kilomètres au sud de Mossoul, le gouvernement irakien a donné son accord pour la construction d’un barrage qui submergera Assur, la capitale antique de l’Assyrie. Cet ouvrage monumental sur le Tigre, conséquences de tensions entre la Turquie et l’Irak, est susceptible de provoquer l’une des plus grandes pertes archéologiques des temps modernes. Après l’épisode d’Assouan, la bonne volonté des archéologues irakiens et étrangers opposés à ce projet déjà bien avancé ne semble pas peser lourd.
LONDRES (de notre correspondant) - Au retour d’un séjour à Bagdad, John Curtis, conservateur du département des Antiquités proche-orientales au British Museum de Londres, a déclaré que le projet du barrage de Makhoul “détruira la plupart des vestiges d’Assur” (actuelle Ash-Sharqat), alors que cette ville emblématique, occupée par les Assyriens pendant près deux mille ans, est “sans doute le site archéologique le plus important du Proche-Orient”. Selon lui, les pertes archéologiques pourraient être encore plus importantes que celles causées par le haut barrage d’Assouan – en Égypte – en 1970, lorsque les temples situés le long du Nil avaient été immergés. L’Unesco avait pu lancer une grande opération internationale de sauvetage, mais la conjoncture politique actuelle en Irak empêcherait une telle action (seule la cité fortifiée d’Hatra figure sur la liste des sites protégés par l’Unesco). En outre, le calendrier serré prévu pour la construction et le fait que les vestiges d’Assur soient toujours enfouis rendraient également une opération de sauvetage très compliquée. La décision de construire un barrage a pour origine les antagonismes entre l’Irak et la Turquie. En effet, cette dernière puiserait trop d’eau à la source du Tigre. Or, à certaines périodes de l’année, l’eau est tellement rare en aval du fleuve, qu’il peut être traversé à pied à la hauteur de Mossoul, la plus grande ville du nord de l’Irak. Le barrage de Makhoul donnera ainsi naissance à un lac qui, en amont de plus de 40 km, recouvrira la majeure partie d’Assur. Située sur un promontoire, la ville antique est limitée, à l’est, par la zone inondable du Tigre et, au nord, par la vallée creusée par l’ancien cours du fleuve. Une centaine d’autres sites assyriens moins connus qu’Assur, tel Kar-Tukulti-Ninurta, datant du XIIIe siècle avant J.-C., risquent également de disparaître à cause du lac. Devenue capitale de l’Assyrie vers 2000 avant J.-C., Assur était le centre religieux d’un empire allant de l’Égypte actuelle à l’Iran, jusqu’à sa prise par les Babyloniens en 614 avant J.-C. Les premières découvertes archéologiques allemandes sur le site remontent à 1903 et sont conservées au Musée des Antiquités orientales de Berlin.
Des trésors encore enfouis
En dépit d’un siècle de fouilles intensives, de vastes zones de la ville n’ont toujours pas été étudiées. Seul un tiers des 34 temples recensés peu de temps avant l’invasion des Babyloniens a été retrouvé. Vraisemblablement, les pièces façonnées dans l’atelier royal au XIIIe siècle avant J.-C., les habitations de marchands et les temples construits au deuxième millénaire avant J.-C. sont encore ensevelis. Bien que le niveau le plus haut de la ville se situe à 30 mètres au-dessus du fleuve, le lac de Makhoul engloutira l’ensemble de la cité et ses vestiges archéologiques ; les tablettes cunéiformes seront par exemple transformées en boue. Afin de limiter les dégâts à Assur, des archéologues irakiens ont proposé de construire une digue de plusieurs kilomètres autour du site, dont le coût représenterait toutefois plusieurs fois le prix du barrage principal. En raison des coupes budgétaires opérées récemment par le gouvernement pour pallier les problèmes économiques résultant de sanctions internationales, il est peu probable que Saddam Hussein fasse le nécessaire pour débloquer des fonds en vue de la construction d’un tel ouvrage. D’autre part, si le barrage de Makhoul était moins haut que prévu, le lac de rétention serait plus petit. Cette décision réduirait considérablement les effets prévus par le projet de stockage de l’eau qui, en outre, deviendrait peu rentable. Par ailleurs, cette solution ne permettrait pas de protéger de l’immersion les strates basses d’Assur. Muayad Damerji, directeur des Antiquités irakiennes, s’est personnellement déclaré en faveur d’une autre solution, à savoir la “construction d’un mur de béton autour d’Assur”. Si le ministère de l’Irrigation irakien a envisagé la construction d’une digue, aucun rapport n’a été communiqué, alors que les travaux de fondation du barrage ont déjà commencé. Le chantier dirigé par des entrepreneurs irakiens devrait durer cinq ans. Des spécialistes allemands et irakiens fouillent actuellement le site d’Assur, mais il s’agit de missions ordinaires et non pas d’opérations de sauvetage. Lors d’une conférence universitaire sur Nimrud, organisée au British Museum en mars, les participants ont déclaré que “les parties concernées, en Irak et dans le reste du monde, doivent étudier tous les moyens possibles pour préserver le site d’Assur, qui est d’une importance unique dans l’histoire de l’Irak en particulier, et dans celles des civilisations du monde en général.”
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L’Irak dédaigne ses vestiges
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°149 du 17 mai 2002, avec le titre suivant : L’Irak dédaigne ses vestiges