Musée

À Liège, le Trinkhall fait peau neuve

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 22 janvier 2020 - 1465 mots

LIÈGE / BELGIQUE

Ancien MAD musée, le Trinkhall Museum ouvre ses portes le 20 mars dans un bâtiment entièrement revu dans sa physionomie. Consacré aux créations réalisées en atelier par des personnes handicapées mentales, il redéfinit sa collection et son projet muséal autour de la notion d’arts situés.

Le Trinkhall a toujours été un lieu important dans la vie liégeoise. Construit en 1880 dans le parc d’Avroy, il abrite alors un grand café, des billards, une salle de cinéma et une belle terrasse ouvrant sur un kiosque à musique. Le style mauresque du bâtiment éclairé par de hautes verrières et flanqué de coupoles correspond au goût de l’époque. D’origine germanique, le terme « Trink Hall » désigne une salle de boisson dans une station thermale. De cette période, il ne reste aujourd’hui plus rien que le nom de l’établissement. La guerre de 1914-1918, les inondations de l’hiver 1925-1926 et le délabrement progressif du bâtiment ont conduit au fil du temps à son abandon puis à sa démolition.

La reconversion en lieu d’expositions

En 1963, l’architecture moderniste du nouveau Trinkhall imaginée par Maurice Chalant donne au lieu un nouveau visage… et un nouvel élan. Il redevient ce haut lieu de loisirs, de rencontres et de rassemblements populaires. Du moins un temps. La fermeture de son café-restaurant dix-sept ans plus tard place la ville, sa propriétaire, devant la nécessité de lui trouver un nouvel usage et d’engager des travaux de rénovation. L’aval donné à la proposition de Luc Boulangé d’organiser en ces espaces une exposition d’envergure des œuvres créées au sein des ateliers du Créahm (Créativité et handicap mental), que le jeune artiste a fondé quelque temps plus tôt à Liège, marque la reconversion du lieu en 1981 et le déploiement de l’association fondée par l’artiste. La vocation des ateliers est purement artistique, et en aucun cas thérapeutique ou occupationnelle, et leur organisation est basée sur l’accompagnement, chaque personne handicapée mentale disposant d’un animateur, toujours artiste de profession.

« Luc Boulangé se sent si bien au Trink-hall qu’il décide d’y installer les ateliers du Créahm, sans autorisation cette fois, engageant avec la ville un jeu de cache-cache, puis un bras de fer qui dura deux ans », raconte Carl Havelange, directeur artistique du Trinkhall Museum. « Dans le parc, on organise des fêtes et des concerts dans le kiosque à musique. Le Créahm est chez lui et, finalement, emporte le morceau. Le Trinkhall est mis officiellement à sa disposition grâce à l’octroi d’un bail emphytéotique. » Le Trinkhall trouve sa nouvelle raison d’être. « Très tôt s’est imposée aussi à Luc Boulangé la nécessité de collecter des créations nées dans d’autres institutions du même type, en Belgique ou ailleurs en Europe, en Amérique ou en Asie », souligne Marie Remacle, responsable des collections. Et, très vite, les espaces du Trinkhall se sont trouvés également trop étroits pour les activités de l’association qui déménage pour d’autres locaux où elle peut déployer ses ateliers arts plastiques mais aussi de danse, de musique, de théâtre ou d’arts du cirque. Le déménagement des activités du Créahm permet de les distinguer de celles du Trinkhall, rebaptisé Centre d’art différencié puis Musée d’art différencié (Mad), en opposition à la notion d’Art brut. Le musée n’a pas pour vocation de conserver les œuvres produites au sein des ateliers de l’association, qui ne constituent qu’une infime partie des trois mille pièces que compte la collection.

Les arts situés préférés aux arts différenciés

Aujourd’hui, la rénovation et l’extension du bâtiment par le cabinet d’architecture Beguin-Massart conduit à une refonte complète du nom du musée qui devient le Trinkhall Museum. Le terme d’art différencié, trop équivoque, a été abandonné pour la notion d’arts situés de son directeur artistique Carl Havelange, maître de recherches au FNRS et professeur d’histoire culturelle à l’Université de Liège, invité il y a trois ans par l’équipe du Créahm à participer à l’élaboration d’une nouvelle politique muséale. « Lorsque l’on considère l’origine des dispositifs de création dont ces œuvres procèdent, ils n’ont pas grand-chose à voir avec ce que l’on appelle l’Art brut, ni avec la notion d’art outsider et les autres tentatives qui ont été menées pour désigner ce genre d’œuvres et ce genre de collections. Cette notion d’arts situés permet d’intégrer la dimension fondamentale de l’environnement de l’œuvre, explique-t-il. Toute œuvre d’art en ce sens est située, que ce soit dans ses dispositifs de création et de réception. Mais certaines le sont plus que d’autres, étant donné leur apparente singularité ou leur relative marginalité. » La refonte de la physionomie et des espaces du Trinkhall Museum, elle aussi, interpelle. La membrane opaline qui recouvre la structure de l’ancien bâtiment du Trinkhall ne passe pas inaperçue, pas plus que son excroissance en forme de champignon qui chapeaute l’entrée du musée. À l’intérieur, la surface d’exposition passe de 100 m2 à près de 600 m2, l’ancien toit-terrasse ayant été transformé en un vaste plateau de 300 m2 modulable. Administrations, réserves, espaces d’activités pédagogiques, salle de documentation, librairie et café-restaurant se répartissent sur les deux niveaux. La thématique du visage, très présente dans la collection, ouvre la première saison d’expositions qui ne devrait pas laisser indifférent.

Questions à… Carl Havelange, directeur artistique du Trinkhall Museum

Pourquoi cette nouvelle dénomination d'« arts situés » ?
Elle est issue de notre difficulté à nommer les œuvres diverses de notre collection qui n’ont rien à voir avec la notion d’Art brut de Dubuffet, ni avec les différentes qualifications d’art outsider, singulier, modeste ou différencié qui se sont développées depuis. Il nous a semblé qu’à vouloir définir la collection en fonction de ce qu’elle est, nous ne nous dirigions pas dans la bonne direction. Il nous a semblé plus opportun de modifier la formulation de notre question en nous demandant plutôt ce qu’elle fait, où elle est et comment elle vit.
Comment a émergé cette notion ?
Elle est d’abord née de cette évidence que notre collection est héritière de l’expérience des ateliers. Il n’y a pas forcément une intention artistique et encore moins marchande. La notion d’arts situés est une notion de terrain dont les figures tutélaires sont Montaigne (qui a placé la pensée, l’émotion et le regard sous le signe de la situation), le psychologue et philosophe américain John Dewey pour ses réflexions sur l’expériences de l’art, et la féministe américaine Donna Haraway pour son épistémologie des savoirs situés.
Quel est l'enjeu ?
Protéger la collection ou les collections de ce type de lissage, de la réduction et des attentes du marché, et inverser le regard. Il ne s’agit pas de regarder la collection avec les yeux du monde de l’art mais de regarder le monde de l’art avec les yeux de la collection.

 

Pascale Vincke (1974-)

Pascale Vincke a accompli son œuvre au Créahm de Bruxelles de 1986 à 1998. De 12 à 24 ans, elle n’a cessé de peindre avant d’arrêter définitivement. Son appropriation de l’image de mannequins ou de personnalités véhiculée par la presse aboutit à des portraits de femmes saisissants. Rien ne filtre de ce visage scrutateur paré d’une belle chevelure rouge si ce n’est une réserve mutique et l’intensité du regard. L’éclat de la chevelure, la chair du visage et le rose aux lèvres contrastent avec le noir de la chemise et du fond. De l’attitude et du vêtement se dégage une élégance discrète.

 

Adolpho Avril (1983-)

Adolpho Avril vit à l’hôpital psychiatrique de Lierneux, en Belgique, et fréquente l’atelier artistique du Centre d’expression et de créativité La Hesse à Vielsalm. Ses gravures sur bois impriment des visages aux expressions pénétrantes. Bouche béante configurée par un large trou noir et regard aussi sombre derrière de larges lunettes expriment un état, un vécu d’un homme dont on ne sait s’ils se réfèrent ou non à ceux de l’artiste. Le cadre serré n’offre aucune échappatoire quoi qu’il en soit.

 

Alain Meert(1973-)

Alain Meert est un des artistes phares du Créahm de Liège. Dans la perspective de l’ouverture du Trinkhall Museum, il a donné sa vision du musée idéal : un galion toutes voiles dehors aux différentes ouvertures révélant chacune tour à tour un dessin, une peinture ou une sculpture. Aidé dans son entreprise par Patrick Marczewski, son accompagnateur et ami depuis vingt ans, l’artiste liégeois, prodigieux dessinateur animalier par ailleurs, a travaillé pendant toute l’année 2019 à sa réalisation.

 

Pierre De Peet (1929-2019)

Quand Pierre De Peet intègre en août 1990 les ateliers arts plastiques du Créahm de Bruxelles, il est déjà un bon dessinateur. Dans ce portrait énigmatique se révèlent toute l’agilité et la justesse du trait, la maîtrise de la couleur et l’usage conjoint du crayon, du pastel et de l’acrylique. Non daté ni titré comme l’ensemble de l’œuvre, ce tableau de petite dimension interpelle par sa puissante intensité expressionniste. Yeux noirs grands ouverts, bouche peinte de rouge, corps à moitié dénudé, mains nouées autour de jambes recroquevillées et contours affirmés des lignes convoquent le trouble.

Trinkhall Museum, parc d’Avroy, Liège (Belgique). Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, gratuit chaque premier dimanche du mois. Week-end d’ouverture les 21 et 22 mars 2020. www.trinkhall.museum

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : À Liège, le Trinkhall fait peau neuve

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