MADRID / ESPAGNE
Alfonso E. Pérez Sánchez, ancien directeur du Musée du Prado, souhaiterait que le pouvoir politique garde ses distances vis-à-vis du grand musée madrilène des beaux-arts et que son personnel reçoive à l’avenir une formation plus adaptée. La rénovation des toitures du palais de Villanueva, qui abrite le Prado, ne lui semble pas prioritaire. De même, l’aboutissement du projet d’extension lui apparaît hautement improbable, en dépit du concours international d’architecture lancé en 1995.
Les fluctuations politiques des dernières années ont eu des répercussions tragiques sur le Musée du Prado, et les nominations successives de plusieurs directeurs ont mis en évidence la différence de traitement entre le musée madrilène et les autres grands musées européens. En comparaison, le Louvre, les musées du Royaume-Uni et même les musées italiens – pourtant souvent confrontés aux mêmes difficultés que leurs homologues espagnols – offrent l’exemple de la cohérence et de la continuité. Cette permanence leur permet d’entreprendre des projets ambitieux, sous la direction de responsables internationalement respectés pour leur professionnalisme… dû à leur longue fréquentation de l’institution dont ils ont la charge.
Au Prado, comme dans n’importe quel autre grand musée, les règles de fonctionnement doivent être impérativement assujetties à des critères de professionnalisme et de rigueur intellectuelle, en dehors de toute considération d’ordre politique ou personnel. Cela s’avère particulièrement nécessaire dans un secteur sinistré au sein du Prado : celui du choix et de la promotion du personnel. Le musée manque de personnel, c’est un fait, mais ce n’est pas une raison pour créer précipitamment de nombreux postes de conservateurs, restaurateurs et gardiens. Le personnel d’un tel musée doit être rigoureusement formé et moralement intègre, ce qui ne s’obtient pas du jour au lendemain.
La seule solution serait d’adopter un système semblable à ceux en vigueur dans les musées anglais, allemands, voire américains. Les jeunes collaborateurs qui ont fait preuve d’efficacité, d’aptitudes et de motivation se voient offrir des contrats d’"assistants-stagiaires" avant d’être titularisés. Une solution de cette nature répondrait aux besoins du musée dans des délais raisonnables. Ainsi, on n’aurait plus de conservateurs qui, après plus de vingt ans de présence, n’ont pas réussi à publier un catalogue limité aux collections qui leur sont confiées, mais continuent à bénéficier des avantages du musée et de son prestige.
Des pressions politiques efficaces
Il est également regrettable que la composition du conseil d’administration du Prado témoigne des pressions politiques, extrêmement efficaces, exercées sur le musée ces dernières années. À côté de ceux qui y siègent du fait de leurs responsabilités au musée ou à l’Académie royale par exemple, figurent en effet des membres librement nommés par le ministre de la Culture. Dépourvus de tout lien avec le monde des arts et des musées, ils suivent ainsi docilement la ligne du ministère…
Après avoir privilégié des institutions jugées plus "payantes" d’un point de vue politique, comme la Fondation Thyssen-Bornemisza ou le Centro de Arte Reina Sofía (lire nos articles), le gouvernement a récemment fait un geste en direction du Prado. Les infiltrations d’eau survenues en 1993 dans la salle Velázquez l’ont conduit à juger indispensable la rénovation des toitures. Mais ces travaux, longs et coûteux, devraient débuter alors que l’on pensait en avoir enfin fini avec les perturbations causées par la modernisation du système de climatisation, qui a duré de 1976 à 1990. La consolidation des toitures du palais de Villanueva est certes souhaitable mais, pour citer l’actuel directeur, "elles sont en bon état, eu égard à leur âge", et leur rénovation ne semble pas prioritaire au vu des besoins du musée.
Ni accords, ni autorisations
Par ailleurs, après le rejet quasi unanime des propositions du ministère pour un agrandissement de fortune, un concours international d’architecture a été lancé au printemps 1995. Le projet considère l’actuel Museo del Ejército (Musée de l’Armée), propriété du ministère de la Défense, comme faisant partie intégrante du futur Prado, alors que son éventuel déménagement n’a toujours pas fait l’objet d’une discussion digne de ce nom. De même, le projet prévoit la construction de deux bâtiments neufs, dont l’un occuperait l’ancien cloître de l’église de Los Jerónimos, sans que l’accord des autorités ecclésiastiques – qui ont fait appel de cette décision – ait été acquis. Dans ces conditions, et compte tenu du droit de regard obligatoirement exercé par le conseil municipal puisqu’il s’agit d’une zone urbaine spécialement protégée, un tel projet, pour astucieux qu’il soit, a peu de chances de se concrétiser.
Pourtant, le Prado a véritablement besoin de s’agrandir. Ses superbes collections devraient pouvoir être exposées en permanence et ordonnées avec logique. Ce que les conditions actuelles ne permettent pas : le développement récent de certains départements – administration, conservation, bibliothèque, laboratoires et ateliers – s’est fait au détriment des espaces d’exposition. De même, les nouvelles installations liées à l’idée qu’on se fait aujourd’hui d’un musée – hybride de supermarché et de club mondain, assorti d’une cafétéria, d’une librairie, d’une boutique-cadeaux, etc – empiètent sur un espace déjà très limité.
C’est pourtant une grande erreur de se laisser influencer par certains exemples venus des États-Unis – un pays où les musées n’appartiennent pas à l’État et possèdent généralement des collections plus réduites – et d’estimer que ces annexes devraient rivaliser, en termes d’espace et de stratégie, avec les expositions elles-mêmes. Dans le cas de l’admirable réussite qu’est le Louvre, le plan d’ensemble a pris en compte les espaces commerciaux dès l’origine du projet et, malgré les apparences, la priorité a toujours été donnée aux salles d’exposition et à leur surface.
Dans le monde entier, le taux de fréquentation des musées diminue, au point que certains prétendent que l’"ère des musées" est révolue. Les grandes expositions font place à des expositions plus ciblées, moins importantes en taille, mais non en intérêt. Aussi serait-il très hasardeux d’entreprendre des extensions mégalomaniaques peu adaptées aux nouvelles réalités.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : L’extension n’est pas acquise