Depuis la fin de la guerre du Golfe, les antiquités continuent de quitter clandestinement l’Irak. Selon les services spécialisés de Scotland Yard, un flux régulier d’objets détournés arrive en Grande-Bretagne, via la Jordanie. Le gouvernement irakien recherche l’aide internationale pour empêcher ces exportations illégales.
LONDRES (de notre correspondante) - Sous les auspices du ministère irakien de la Culture et de l’Information, un colloque international sur les antiquités pillées en Irak pendant la guerre de 1991 a réuni à Bagdad des fonctionnaires irakiens du service des Antiquités et de la Police, des représentants d’Interpol et des experts assermentés auprès du ministère des Affaires étrangères, des archéologues américains (à qui le gouvernement des États-Unis a interdit de travailler en Irak), anglais, italiens, français, russes, japonais, etc. L’initiative de cette manifestation était due au Dr Muayad Sayed Damerdji, directeur général des Antiquités et du Patrimoine irakiens et au Pr. Hideo Fuji, de l’université de Kokushikan de Tokyo.
Fouilles clandestines
Le Dr Damerdji a affirmé qu’au cours des combats qui ont opposé les Kurdes et les forces irakiennes dans le nord de l’Irak, en 1991, les musées régionaux de Dohuk et de Kirkuk avaient été quasiment détruits. Selon lui, plus d’un millier d’objets ont disparu, notamment des manuscrits et vingt-deux œuvres volées dans la mosquée Sulaymaniyya. Dans le sud du pays, la révolte des Shi’ites contre le régime de Saddam Hussein a infligé des pertes considérables aux musées de Kufa, Dîwâniyya, Amara et Bassora.
Les musées ont été doublement visés, comme symboles d’un gouvernement impopulaire et comme sources de profits faciles pour la population : les objets d’art sont faciles à revendre en contrebande. En outre, des fragments de statues et de bas-reliefs ont été récemment dérobés sur les sites de Hatra et de Nimrud, et une douzaine d’autres sites ont fait l’objet de fouilles clandestines. La cité sumérienne d’Umma, dans le sud de l’Irak, a même été le théâtre d’affrontements entre les forces de police et des pillards armés.
Des tablettes cunéiformes volées ont été retrouvées à l’aéroport d’Heathrow, à Londres, dans un envoi en provenance de Jordanie. Le sergent Tony Russell, du Scotland Yard Art and Antiques Squad, a confirmé l’existence d’un flux régulier d’antiquités irakiennes arrivant en Grande-Bretagne, via la Jordanie.
Les maisons de ventes aux enchères et les marchands d’antiquités ont récemment reçu la liste de quatre mille objets volés à travers tout l’Irak, accompagnée de descriptions détaillées et de photographies. Cette liste a été publiée par le service irakien des Antiquités et communiquée à l’Unesco, mais sa diffusion n’en a malheureusement pas été assurée auprès des États membres. Depuis, la conférence de Bagdad a fait diffuser un appel général auprès d’Interpol, de l’Union internationale des douanes et de l’Union internationale des marchands d’antiquités, pour aider à stopper la vente des antiquités récemment importées d’Irak.
Nicholas Postgate, professeur d’assyriologie à Cambridge présent à la conférence de Bagdad, a expliqué que la situation économique de l’Irak avait créé et entretenu le pillage systématique des sites et des musées. Les autorités irakiennes soupçonnent le trafic en direction de la Jordanie d’être grandement facilité par la corruption, et affirment que certains "experts", en Grande-Bretagne, tirent profit de l’authentification d’objets volés.
Pour imposer un contrôle effectif aux frontières, la police aurait besoin, selon elle, de six cents hommes supplémentaires. Il faudrait aussi renforcer la garde des sites et des musées, enregistrer et photographier tous les objets des musées afin d’être en mesure de donner immédiatement la fiche signalétique des objets dérobés.
Mais l’Irak invoque les sanctions économiques qui lui sont infligées pour justifier ses réductions drastiques de budget et de personnel. La conférence de décembre a conclu à la nécessité de mettre le domaine culturel à l’abri de l’embargo et de réhabiliter d’urgence les musées irakiens, à commencer par l’Iraqi Museum de Bagdad.
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Les voleurs de Bagdad
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Les voleurs de Bagdad