Les « Très Riches Heures du duc de Berry », le plus beau et le plus étrange manuscrit enluminé, inaccessible au public jusqu’à présent, va bientôt être à la portée de tous grâce à un CD-photo Kodak.
CHANTILLY - Des Très Riches Heures du duc de Berry, le public ne connaît guère que la série des "Saisons", où figurent notamment les châteaux de Vincennes et de Saumur, très souvent reproduits. Quelques privilégiés ont pu s’offrir, en 1984, pour la coquette somme de 58 000 francs, le fac-similé du manuscrit, édité à 180 exemplaires (Ed. Faksimile Verlag, Lucerne). Mais bientôt, tout le monde pourra explorer librement ses miniatures et en capter les plus infimes détails, car Jean Dejoux et Élisabeth Savet réalisent le fac-similé électronique des Très Riches Heures du duc de Berry, première entreprise à cette échelle pour une telle œuvre d’art.
Après avoir travaillé aux États-Unis, notamment au Getty Museum et sur les archives de la NASA, Jean Dejoux a participé au projet "Muséopolis". Lancé en 1992 avec le concours du conseil général des Alpes-Maritimes, il a pour but de constituer une banque de données photographiques des richesses artistiques du département. De ce projet lui est venu l’idée de créer le premier fac-similé complet d’une œuvre d’art.
Dix ans après l’apparition du CD-Rom, qui permet de stocker une véritable banque d’images, de son et de texte dans un simple disque en plastique, voici qu’apparaît sur le marché le CD-photo Kodak à base d’images numériques, correspondant à une technologie encore supérieure. "Une nouvelle conception du livre d’art est en train de naître", affirme Jean Dejoux. Un contrat d’exclusivité a été passé avec le musée Condé de Chantilly, propriété de l’Institut de France, et dépositaire du célèbre manuscrit en vertu du legs du duc d’Aumale en 1886. Quatre mois de travail ont été nécessaires pour photographier les 206 feuillets. Résultat : un coffret comprenant quatre CD-photo Kodak "silencieux", de 100 images chacun, correspondant au fac-similé électronique du manuscrit, et un CD-photo Kodak "musical", contenant 800 images. Chaque illustration est présentée dans son ensemble, puis reprise en détail par macrophotographie. Nous voici devant un livre d’images "sans parole", à feuilleter chez soi sur son écran TV. Car si le CD-photo présente bien des similitudes avec le CD-Rom, il possède l’avantage d’être compatible avec un simple téléviseur, alors que le CD-Rom n’est lisible que sur un écran d’ordinateur.
Compatible avec la télévision
Il sera donc possible de voyager à travers Les Très Riches Heures du duc de Berry à moindre frais. Il suffira de posséder, outre un téléviseur, un lecteur de CD-photo Kodak, relié au petit écran par prise Péritel. Après avoir fait apparaître une image, à l’aide d’une télécommande, l’on pourra choisir son programme en sélectionnant soi-même ses images sur un index où chaque photo est numérotée. Suivant la touche sur laquelle vous appuierez, vous pourrez faire une lecture rapide, vous arrêter sur un sujet, l’explorer en l’agrandissant, le faire bouger dans tous les sens, le cadrer différemment…
Le coffret de quatre CD sera édité par Erato et disponible dès le 24 juin prochain à un prix situé entre 600 à 800 francs. Il sera accompagné d’un livret de commentaires de 32 pages, écrit par M. Francis Salet, de l’Académie des inscriptions et belles lettres. Chacun des éléments pourra être vendu séparément.
Par ailleurs, le préfet du Cher, Victor Convert, souhaitant rendre un peu d’âme au Palais Jacques Cœur à Bourges, avait demandé à l’Institut l’autorisation d’exposer le fameux manuscrit des Très Riches Heures du duc de Berry, dont les enlumineurs sont enfants du pays. En vertu des dispositions testamentaires du duc d’Aumale, le manuscrit ne peut sortir de la bibliothèque du Musée Condé. Le préfet, apprenant la réalisation d’un CD-photo, a demandé à Jean Dejoux de préparer un projet d’animation audiovisuelle destinée au grand public pour la salle des banquets du Palais Jacques Cœur.
Ce livre d’Heures avait été commandé par le duc de Berry en 1413 à l’enlumineur Pol Limbourg et à ses deux frères. À la mort du duc, en 1416, le manuscrit reste inachevé. Il entre dans la bibliothèque de Charles VI. Charles VII l’en ressortira et le confiera à un peintre dont on ignore l’identité. Après quelques péripéties, il ressurgira chez Charles Ier de Savoie, neveu de Louis XI, qui le fera achever par Jean Colomb. Le duc d’Aumale l’achètera en 1856 à Gênes, et le lèguera à sa mort, avec une partie de ses biens, à l’Institut de France.
Le manuscrit, commencé en 1413 et achevé en 1488, comporte 206 feuillets et 201 illustrations, peintures et miniatures. Sa composition complexe et son aspect insolite le classent hors de tous les manuscrits que l’on a l’habitude de voir. La mort a en effet surpris les premiers auteurs avant qu’ils puissent achever leur tâche, laquelle sera reprise ensuite par deux fois et par différents artistes. Il offre un trésor d’images, prémisses de la peinture moderne : fonds de paysages aux couleurs dégradées, scènes de la Cour dans les châteaux, travaux et jours champêtres, et tant de tableaux si originaux que l’on se trouve devant le plus étrange manuscrit jamais vu.
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Les «Très Riches Heures du duc de Berry » sur disque compact
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : Les «Très Riches Heures du duc de Berry » sur disque compact