Les photos de la Zone

Entré dans le vocabulaire contemporain pour caractériser un lieu d’errance ou interlope, ce terme désignait initialement la zone militaire ceinturant Paris. Une bande de terre de 250 m de large sur 34 km de fortifications construites au XIXe siècle. Cette zone était affectée d’une servitude afin de la rendre inconstructible, de manière à laisser un champ dégagé destiné à l’artillerie. Se révélant inefficace, ce système de défense a été abandonné après la guerre franco-prussienne.

Cette ceinture devient un lieu de promenade à la mode. Avant que ne s’y installent les classes populaires les plus pauvres ne pouvant se loger dans Paris. Les terrains se couvrent de constructions précaires, des baraques souvent insalubres. Cet immense bidonville accueille jusqu’à plus de 40 000 personnes dans l’entre-deux-guerres, dont 20 % d’étrangers. Les zoniers sont ensuite expulsés jusqu’à l’éradication complète de la Zone et la construction à son emplacement du boulevard périphérique.

L’ensemble de 159 photographies constitué par la Galerie Lumière des Roses représente donc un témoignage exceptionnel. Bâti en une dizaine d’années à la manière d’une collecte ethnographique, il documente l’organisation de la Zone de 1910 à 1954. Il comprend surtout des clichés anonymes réalisés par des photographes amateurs, mais aussi des professionnels travaillant pour des agences. Exposée à la galerie en 2018, la collection a ensuite été présentée aux Rencontres d’Arles en 2019.

Étrangement, la photographie de l’entre-deux-guerres a peu immortalisé ce phénomène social et urbain. Alors que la littérature et le cinéma se sont massivement emparés de cet univers. Ils ont d’ailleurs largement participé à forger une image pittoresque de cet environnement ; celui d’un monde à la marge, vivant en autarcie avec ses petits métiers. Un espace malfamé, mais renfermant des personnages hauts en couleur comme les chiffonniers et les Apaches, les célèbres voyous de la Belle Époque.

Le Musée national de l’histoire de l’immigration vient d’acquérir cette collection. L’établissement, qui refond actuellement son parcours de visite, réfléchit aux modalités de présentation du fonds. Le musée envisage, par exemple, de mener une enquête historique sur les habitants de la Zone en retrouvant les personnes figurant sur les photographies et de recueillir leurs témoignages. D’anciens habitants s’étaient en effet manifestés lors de la présentation de la collection par la galerie.