Sybille Ebert-Schifferer a pris ses fonctions de directeur général des Collections nationales de Dresde au début de 1998. Née à Hambourg en 1955, elle a étudié la musicologie, l’histoire de l’art et le théâtre à l’Université de Munich. Elle a débuté sa carrière au Musée Georg-Kolbe à Berlin, puis au Musée Liebieghaus à Francfort, avant de devenir responsable des expositions à la Schirn Kunsthalle de Francfort, où elle s’est distinguée par une série de présentations novatrices sur le Baroque. En 1991, elle était le plus jeune directeur d’un musée régional allemand, le Musée du Land de Hesse à Darmstadt, ainsi que la première femme à ce poste. Sybille Ebert-Schifferer fait le point sur ses dix-huit premiers mois à Dresde.
Le collection de Dresde est considérée comme l’une des plus riches au monde, mais, en fait, c’est plutôt une “vache sacrée”. Allez-vous de la rendre plus accessible ?
À certaines périodes de l’année, nous accueillons tellement de visiteurs (au total, 1,6 million par an) que nous nous demandons comment les répartir sur d’autres mois. Nous disposons d’un département pédagogique assez performant. Il est toutefois évident que nous ne pouvons pas satisfaire la demande, surtout à destination des enfants ; il nous faut davantage de personnel. Et nous devons demander un droit d’entrée afin de pouvoir payer le personnel chargé de ces programmes. Cependant, je n’ai pas le droit de conserver l’argent ; je dois le verser au ministère des Finances qui ne me le rétrocède pas. Dès que j’ai été nommée, j’ai entrepris des démarches pour modifier ces règles budgétaires et obtenu en partie gain de cause : je peux à présent conserver les recettes des entrées aux expositions temporaires afin de financer la suivante. D’ailleurs, le budget alloué aux expositions temporaires était tellement dérisoire que, sans ces nouvelles mesures, nous n’aurions jamais pu monter le “Jugendstil à Dresde”. Je ne peux toujours pas disposer de l’ensemble des recettes, mais cela viendra.
Quel type d’exposition prévoyez-vous de monter ? Des expositions d’art contemporain peut-être, puisqu’on se souvient de votre engagement dans la collection Joseph Beuys à Darmstadt ?
C’est peut-être l’essentiel du programme : montrer des œuvres d’art moderne et contemporain absentes de nos collections, que nous n’aurons sans doute jamais les moyens d’acquérir et que le public d’ici ne connaît pas. D’autre part, notre département de maîtres anciens est extraordinaire, et nous pourrions envisager de participer aux grandes expositions de peinture ancienne, non pas grandes en nombre d’œuvres prêtées, mais plutôt comparables à celles qu’organise Neil MacGregor.
Le premier problème auquel vous avez dû faire face concernait l’avenir des collections des Wettin, qui avaient été expropriés par le régime communiste. Êtes-vous parvenu à un accord avec les représentants de l’ex-famille régnante ?
Oui. Sur un total de 15 000 objets, 13 500 devraient retourner à la famille Wettin, tandis que 1 500 ont été achetés par le Land de Saxe, avec le cofinancement de la Fondation pour la Culture des Länder, pour quelque 23 millions de deutschemarks (77 millions de francs). Les chiffres varient sur le nombre d’objets achetés – selon certaines sources, nous en aurions acquis 12 000 –, mais voici pourquoi : plusieurs albums reliés renferment environ 200 dessins chacun ; pour nous, chaque ensemble représente un seul volume puisqu’il s’agit toujours des albums originaux rassemblés par le roi Frédéric-Auguste II, alors que les maisons de vente comptabilisent et estiment chaque feuille.
Quel est le calendrier prévu pour la restauration de l’intérieur du Palais-résidence ?
Les bureaux y emménageront en 2002. Puis nous réinstallerons la Voûte verte en deux temps, entre 2003 et 2004. Les salles historiques seront au rez-de-chaussée, et une surface équivalente, au premier étage, accueillera une exposition moderne. Pour des questions de conservation, le public ne pourra pénétrer dans les salles historiques qu’en nombre limité ; nous souhaitons donc aménager un deuxième espace d’exposition que les visiteurs pourront aller voir en attendant. Par ailleurs, la valeur esthétique de certaines œuvres est telle que nous ne pouvons plus les intégrer dans un schéma décoratif baroque ; elles doivent être exposées dans leurs propres vitrines pour que les visiteurs puissent tourner autour. Cette nouvelle présentation sera accessible au public au printemps 2003. Ainsi, la Voûte verte, telle que les visiteurs peuvent actuellement la voir à l’Albertinum, pourra rester ouverte pendant que nous procéderons au démontage des éléments historiques pour l’installation des nouvelles salles de la Résidence. Le reste de la collection suivra au cours de l’hiver 2003 et nous espérons pouvoir ouvrir les deux espaces d’exposition au printemps 2004.
Et les autres salles de la Résidence ?
Pour l’instant, aucune date n’a été fixée, sauf pour la Voûte verte, où les travaux, lorsque je suis arrivée, n’étaient pas prévus avant 2006. À mon avis, dès que ces salles seront ouvertes, la pression du public – nous attendons au moins un million de visiteurs par an – obligera à accélérer les travaux d’aménagement des autres espaces, soit la majeure partie de la Résidence. Pendant plusieurs années, les travaux ont avancé très lentement et, le sort des bâtiments étant incertain, seul l’extérieur a été restauré. Aujourd’hui, ils sont terminés, à l’exception de l’aile est. Nous avons déjà décidé de son apparence extérieure, mais nous attendons les résultats des études archéologiques, au printemps prochain, pour détailler les plans d’aménagement.
Comment souhaitez-vous utiliser le reste de la Résidence et, surtout, avez-vous le droit de l’utiliser ?
Oui, conformément à la décision du gouvernement rendue en 1997. Elle accueillera surtout la Rüstkammer, une spectaculaire collection d’armes et d’armures, mais aussi d’arts de l’Islam, de textiles, de peintures et d’objets de la Kunstkammer. Le décor des salles de réception d’Auguste le Fort, au deuxième étage de l’aile ouest, au-dessus de la Voûte verte, a été en grande partie conservé au Musée des arts appliqués. On pourra donc les reconstruire et leur rendre leur apparence baroque. Le Cabinet des porcelaines peut également être remonté puisque nous disposons de photographies ainsi que des éléments qui serviront à le reconstruire, sans affecter l’agencement des objets exposés dans les salles principales de la Collection des porcelaines, au Zwinger. Nous aménagerons ensuite une salle d’exposition permanente pour le Cabinet des monnaies et médailles. Puis, le Cabinet des estampes y sera également transféré, avec une galerie pour des expositions temporaires qui pourra servir aux autres collections, ainsi que la bibliothèque des Arts.
Les recherches, les méthodes de conservation et de documentation ont évolué à l’Ouest et, durant de longues années, Dresde est restée à l’écart. Lorsque vous êtes arrivée au musée, quelle était la situation ?
Les techniques de conservation étaient très au point et les réserves très bien entretenues, tous les responsables ayant suivi des cours de muséologie à Leipzig. Comme ils n’avaient que peu de moyens et ne disposaient pas de matériel moderne, ils ont dû mettre au point de nouvelles techniques. Cela m’a fascinée, et j’ai également été stupéfaite de constater qu’il y avait suffisamment de personnel, ce qui n’est pas toujours le cas dans les musées de l’Ouest. L’attitude de nombreux conservateurs consistait, bien évidemment, à ignorer tous les sujets politiques sous le régime communiste et à se consacrer entièrement à leurs recherches. La plupart des représentants de l’ancienne génération ne peuvent pas être en charge de musées modernes, pour la simple raison qu’ils se considèrent comme des universitaires, et leurs méthodes sont trop différentes des nôtres. Il est toujours très difficile d’entreprendre des recherches ici, car de nombreux documents sont inaccessibles : par exemple, je cherche actuellement un article qui a été publié dans Art History en 1982 et, comme cette année n’est pas répertoriée dans la bibliothèque, je vais devoir attendre plusieurs semaines avant de pouvoir le recevoir d’une autre bibliothèque, ou je devrai aller le chercher à Berlin. Les premières années qui ont suivi la réunification, un budget d’acquisition de livres a été créé, mais tout a été dépensé et nous ne pouvons plus acheter quoi que ce soit.
Envisagez-vous de mettre en place une politique d’acquisition plus dynamique ? Lors de la vente Rothschild, en juillet dernier, vous avez pu, avec le soutien des trustees du Getty et de la Fondation pour la Culture des Länder, faire l’acquisition d’un astrolabe fabriqué à Zwickau.
C’était une occasion à ne pas rater. Nous disposons d’un budget de 900 000 deutschemarks (environ 3 millions de francs) pour l’ensemble des collections, et nous négocions actuellement l’achat d’un tableau de Kirchner, le dernier d’une série de trois vues exécutées lors du séjour de l’artiste à Dresde. Nous avons échelonné le paiement sur les trois prochaines années, en y consacrant la moitié de notre budget annuel car nous devons pouvoir continuer à acheter pour les autres collections. Les directeurs ont gentiment accepté cet effort, mais cela montre combien il est difficile de combler les lacunes des nouvelles salles de peinture. Ce serait impossible sans le cofinancement de la Fondation pour la Culture des Länder. Le Land de Saxe ne dispose pas d’un système de loterie nationale pour financer les acquisitions des musées et les expositions, ce qui est dommage. Et le gouvernement fédéral n’accorde aucun subside aux collections, en dehors du financement des acquisitions par la Fondation pour la Culture. Pourtant, certaines collections allemandes ont leur place au sein des grandes collections internationales et mériteraient que les États fédéraux s’associent pour les soutenir. Bien sûr, l’argent est transféré des anciens aux nouveaux Länder puisqu’il est pris en compte dans le budget général ; il existe également un programme de subvention pour la culture dans les nouveaux Länder, mais tout dépend des choix du gouvernement de Saxe. De nombreux autres projets de moindre importance, ainsi que la Collection de porcelaines du Zwinger, ont été partiellement financés grâce à ces différents systèmes mais, en tant que collections nationales, nous ne percevons pas un sou directement.
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Les nouvelles ambitions de Dresde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : Les nouvelles ambitions de Dresde