Environnement

PATRIMOINE ET ENVIRONNEMENT

Les éoliennes, toujours une abomination pour les sites et monuments

Par Marion Krauze · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2024 - 860 mots

Concilier développement des énergies renouvelables et protection du patrimoine relève de la gageure, à l’heure où les conflits entre promoteurs éoliens et associations de défense se multiplient.

Un parc éolien sur une plage © Photo Kervin Edward Lara - License Pexels
Un parc éolien sur une plage.

France. Parmi les derniers projets qui ont fait grand bruit : celui de construire trois éoliennes à Porspoder (Finistère) à proximité de plusieurs menhirs classés au titre des monuments historiques, dont l’une à seulement 540 m de distance des menhirs de Kergadiou. Un projet validé par le préfet, mais contre lequel des riverains et deux associations ont déposé un recours. En octobre dernier, la cour d’appel de Nantes leur a donné raison en estimant que les éoliennes de 120 mètres de haut auraient visuellement porté atteinte au paysage préservé de l’Aber-Ildut et « perturbé le rapport d’échelle de ces menhirs ».

Qu’en est-il au regard de la loi ? Dans le droit commun, il est interdit d’implanter une éolienne à moins de 500 m d’une habitation. Pour les biens patrimoniaux non habités, s’ils sont inscrits ou classés monuments historiques, ils bénéficient automatiquement d’un périmètre de protection de 500 mètres de rayon, qui nécessite d’obtenir l’accord préalable des architectes des Bâtiments de France (ABF) pour intervenir dans cette zone (implanter une éolienne, poser un panneau photovoltaïque, etc.). « Lorsque cette mesure a été instaurée en 1943, il n’existait rien de comparable aux éoliennes en termes de hauteur et de facilité d’implantation, souligne Julien Lacaze, le président de Sites & Monuments. Les enjeux ont évolué depuis, il faut se mettre au goût du jour. » Mais malgré plusieurs tentatives visant à étendre ce périmètre, l’avis conforme des ABF reste non obligatoire au-delà de cette zone.

« Danger » pour le patrimoine

Pour implanter un parc éolien, une seule autorisation est nécessaire : celle délivrée par le préfet, qui juge si le projet est conforme à l’article L511-1 du code de l’environnement. Ce dernier interdit les installations qui « peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la protection […] des paysages, […] soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ». Mais à partir de quand considère-t-on un parc éolien dangereux pour le patrimoine ? Plusieurs facteurs peuvent être pris en compte : l’importance du monument ou site concerné, s’il est protégé ou non, son lien visuel immédiat, indirect ou de covisibilité avec les éoliennes… « Cette appréciation des impacts est délicate. C’est surtout du cas par cas, estime Me Francis Monamy, avocat spécialisé en droit de l’urbanisme et de l’environnement. Lorsqu’il y a litige, ces affaires sont très dépendantes de la sensibilité des magistrats. » Cette subjectivité est d’autant plus manifeste dans le cas de contentieux particuliers. En 2023, le Conseil d’État a refusé de délivrer l’autorisation d’un projet d’éoliennes à proximité d’Illiers-Combray (Eure-et-Loir), dont les paysages bucoliques ont été longuement décrits par Marcel Proust. Une décision justifiée au nom des « dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraires du paysage ». Exceptionnellement, la notion de paysage a également été pensée dans sa dimension immatérielle, compte tenu de son importance littéraire.

Cet argument est aussi invoqué par les défenseurs du Val Lamartinien (Saône-et-Loire) dans leur pétition contre l’implantation, d’ici à cinq ans, de cinq éoliennes sur la montagne qui sépare la maison d’enfance du poète Alphonse de Lamartine et sa demeure personnelle, le château de Saint-Point, classé. « C’est un projet insensé au vu de la configuration des lieux, s’insurge Étienne de Baecque, propriétaire du château de Saint-Point. Sans parler de l’impact écologique de ces éoliennes, qui seraient implantées en plein cœur d’une forêt, en lisière directe d’une zone labellisée “Natura 2000”. »À ce stade, le projet n’a pas encore été validé par le préfet, mais la municipalité a autorisé le lancement d’une étude d’impact sur une durée d’un an. « Le problème de ces études, c’est qu’elles sont pilotées et financées par les opérateurs éoliens, avertit Étienne de Baecque. Elles sont donc biaisées, avec certains impacts qui peuvent être minimisés. »

Lancer un travail de mobilisation très en amont

« Le conflit éolien est de très loin celui auquel notre association est la plus confrontée, indique Julien Lacaze. Nous avons au moins une centaine de cas de contentieux. » Parmi eux, de nombreux projets éoliens sont directement refusés, surtout lorsque l’atteinte patrimoniale est évidente. « C’est par contre assez rare d’obtenir gain de cause devant la justice », signale Me Francis Monamy. Pour les défenseurs du patrimoine, tout se joue surtout avant la décision préfectorale. « Il faut essayer de tuer le projet dans l’œuf, lancer un travail de mobilisation très en amont, explique Julien Lacaze. Faire en sorte que le conseil municipal s’oppose au projet car il influe beaucoup sur le choix du préfet. » Et d’ajouter : « C’est d’autant plus important que les projets éoliens sont maintenant envisagés dans des zones auparavant impensables. » En témoigne la récente controverse autour du projet d’implanter quatre éoliennes à quinze kilomètres du château d’Amboise (Indre-et-Loire). Selon le préfet, le faible impact visuel de ces éoliennes ne dénaturerait pas le paysage du Val de Loire, inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Un avis contesté par plusieurs associations et communes qui ont déposé un recours, arguant qu’au vu du caractère exceptionnel du site, il devrait être interdit d’y voir le moindre parc éolien, même de très loin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : Les éoliennes, une abomination pour les sites et monuments

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