Dans le cadre de l’exposition Brancusi, le Centre Pompidou a créé un parcours-jeu, \"L’oiseau caché dans la pierre\", destiné aux 6-12 ans. Les enfants travaillent le bois et la pierre, polissent le bronze, jouent avec des puzzles géants et sont incités ensuite à emmener leurs parents voir l’exposition. Depuis le début des années quatre-vingt, les musées ont considérablement développé leurs services éducatifs et parient de plus en plus sur un accueil dynamique des jeunes, qui constituent aujourd’hui près de 50 % de leur public.
PARIS - "On va voir des choses ennuyeuses", s’écrient, unanimes, les élèves d’une classe de 5e à l’entrée des collections permanentes du Centre Pompidou. Habitué à de tels a priori, le conférencier conduit habilement sa troupe d’élèves plutôt sceptiques d’un De Kooning abstrait à un papier collé de Matisse en passant par la saisissante Journaliste d’Otto Dix.
À chaque étape, la parole est donnée aux élèves pour qu’ils découvrent eux-mêmes, comme pris au piège d’un jeu de piste réjouissant, les éléments spécifiques de chacune des œuvres. Ce dialogue joyeux entraîne les plus récalcitrants. Dès lors, chacun rivalise de perspicacité pour aller interroger d’autres œuvres. L’ennui s’est vite dissipé, prouvant que l’habileté pédagogique triomphe aisément de l’image d’austérité qui pèse encore sur les musées.
Trois cents "enseignants détachés"
Dans ce cas comme dans bien d’autres, le premier contact avec le musée demeure la visite scolaire. Cette découverte aux allures de rituel obligé est décisive. Si elle a permis à l’enfant d’apprécier et de démythifier ces lieux réputés difficiles d’accès, le pari est gagné. Il y a de fortes chances pour qu’une fois adulte, il y retourne.
Parmi les mille deux cents musées classés et contrôlés par la Direction des Musées de France (DMF), de nombreux services éducatifs se sont mis en place avec le concours d’artistes plasticiens et de professeurs des écoles, des collèges et des lycées. Ils ont pour mission d’assurer la liaison permanente entre les musées et les établissements scolaires.
Non seulement ils conçoivent des documents d’aide à la visite, mais ils participent aussi à la création d’ateliers et complètent la formation des autres enseignants. Aujourd’hui, plus d’un tiers des musées bénéficie des initiatives de trois cents "enseignants détachés", rétribués en heures supplémentaires par
l’Éducation nationale.
Développer le regard critique
En conjuguant rigueur et invention, la visite du musée s’intègre à la formation scolaire. "Le plus important, précise la responsable des ateliers du Musée de la Poste à Paris, c’est de proposer des matériaux pédagogiques que l’enseignant pourra utiliser dans son cours". La visite ouvre des perspectives aussi surprenantes qu’enrichissantes aux cours d’arts plastiques, mais également aux cours d’histoire, de français, voir même de mathématiques.
Les scolaires ne sont pas les seuls concernés par les initiatives des musées. Qu’ils soient des visiteurs individuels ou accompagnés par leurs centres de loisirs, les enfants à partir de six ans sont pris en charge par les musées, en particulier les mercredis, samedis et lors des vacances scolaires. Les quatre organisateurs de l’équipe pédagogique du Musée d’Orsay, qui compte plus de trente animateurs, se réjouissent de leur autonomie : "Nous n’avons pas de contraintes.
Plus que la créativité, nous nous attachons à développer le regard critique des enfants", confie l’un d’entre eux. Selon l’importance et le succès du musée, dix à quarante guides ou animateurs d’ateliers accueillent les jeunes visiteurs. "L’important, souligne l’une des responsables du département des Publics de la DMF, est de faire comprendre aux jeunes que l’art – et plus particulièrement l’art contemporain – est une expression visionnaire de leur temps, qui traduit aussi leurs propres préoccupations".
Si beaucoup de musées, comme celui de Villeneuve-d’Ascq, accordent la gratuité aux groupes scolaires, les ateliers des mercredis et des vacances scolaires sont le plus souvent payants : trente francs pour deux heures d’atelier au Centre Pompidou, ou soixante francs par enfant pour une journée à thème, repas compris, organisée par le Musée de Saint-Étienne.
La diversité des activités proposées paraît infinie. De la boîte à jeu qui permet de découvrir une exposition temporaire ou une œuvre spécifique jusqu’à la visite fondée sur l’échange et le dialogue, l’enfant, loin de subir un discours pontifiant, devient au contraire un acteur face à l’œuvre qu’il découvre. Autant d’agréments qui ont sans doute manqué à cette moitié des Français qui ne va jamais au musée.
Voici quelques exemples choisis parmi plus de huit cents musées français qui ont développé des activités pédagogiques.
- En plus d’avoir étroitement lié la pédagogie d’une école «modèle» à l’Espace d’art concret de Mouans-Sartoux, petite commune de 9 000 habitants des Alpes-Maritimes, son artiste-directeur, Gottfried Honegger, a conçu «Le viseur», une boîte-jeu, aussi efficace que ludique. D’un maniement extrêmement simple, elle permet à l’enfant d’éduquer son regard et de découvrir en jouant l’inventaire des règles de base de l’expression plastique, telles que les formes primaires, les courbes et les lignes droites, ou encore l’ordre et le désordre. Utilisé dans de nombreuses écoles, «Le viseur» exporte ainsi l’expérience acquise lors des stages organisés par ce château-musée particulièrement dynamique. Renseignements : 93 75 71 50.
- Si le Musée des beaux-arts de Nantes offre aux enfants de 7 à 10 ans une multitude d’ateliers et de visites-découvertes lors des vacances, il ne propose pas de visites scolaires. Il préfère miser sur le long terme en développant, à l’aide de trois professeurs détachés, une politique de formation des enseignants, qui pourront ainsi assurer à leur tour les visites du musée. Renseignements : 51 25 06 43.
- Les ateliers du Centre Pompidou et du Musée d’art moderne de la Ville de Paris s’adressent aux enfants de 6 à 12 ans. Les classes scolaires, les centres de loisirs et les enfants libres lors des vacances scolaires sont conviés dans des "ateliers-expositions" particulièrement vivants. Dans une scénographie spectaculaire qui sollicite l’imaginaire de l’enfant, l’atelier met en jeu la grande exposition du moment. Parallèlement, «l’atelier de sensibilisation aux œuvres du musée» conduit les enfants de l’atelier proprement dit aux collections du musée à travers diverses manipulations qui permettent d’explorer tous les secrets plastiques d’une œuvre originale. Renseignements Centre Georges Pompidou : 44 78 40 42, renseignements Musée d’art moderne de la Ville de Paris : 53 67 40 80.
- En 1994, plus de 27 000 enfants ont suivi les activités du Musée d’art moderne de Saint-Étienne. Avec la volonté de développer le regard critique des enfants de la maternelle à la terminale, «Trois p’tits tours au musée» offre un cycle de trois séances d’une heure trente qui les conduit à découvrir l’art moderne et contemporain. D’autre part, le musée propose des «projets expérimentaux» qui prennent en charge les enfants durant deux journées pour explorer, à l’aide de lectures et d’expérimentations pratiques, certains thèmes transversaux inspirés par les œuvres des expositions temporaires. Renseignements : 77 93 41 45.
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Les enfants à l’école du musée
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Abonnez-vous dès 1 €L’enfant qui fréquente les musées aura beaucoup plus de chances d’y retourner à l’âge adulte. Telle est la conclusion de la dernière enquête sur la fréquentation des musées par les jeunes de plus de 15 ans, menée par le département des Études et de la prospective du ministère de la Culture. 49 % des plus de 15 ans ont visité au moins un musée au cours des trois dernières années. Alors que les adolescents préfèrent les musées spécialisés ou les musées d’art moderne, 50 % des visites les conduisent pourtant vers les musées traditionnels des beaux-arts. Les trois quarts d’entre eux sont allés au musée avec le collège ou le lycée, la moitié avec leur famille. Les visites scolaires doublent les chances des non diplômés de fréquenter à nouveau les musées à l’âge adulte (35 % contre 18 %). Si le musée rappelle l’école pour 33 % des 15-19 ans, et si ceux-ci lui préfèrent plus volontiers le cinéma ou le stade de football, 59 % l’associent pourtant à l’idée de détente. D’autre part, les 19-24 ans sont moins intimidés que leurs aînés par le caractère «compliqué» ou «intellectuel» des musées.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Les enfants à l’école du musée